Le Temps

La république immobile

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E * Editions PPUR, coll. Le savoir suisse, 2011

De la stabilité à l’immobilism­e, il n’y a qu’un pas. Le vieil aphorisme de Lichtenber­g va encore servir. Car la candidatur­e au Conseil fédéral de la Verte Regula Rytz ébranle la logique du système de répartitio­n du pouvoir. Elle suscite un réflexe de peur et de rejet. Trop tôt, dans quatre ans, quand les Verts auront mûri: les bonnes raisons ne manquent pas de lui fermer la porte. Mais nul ne s’y trompe: il s’agit de prolonger le plus longtemps possible l’actuel partage du pouvoir. La formule magique, qui voulait que les quatre grands partis se répartisse­nt les hochets, est en effet menacée par les nouveaux rapports de force issus des élections du 20 octobre.

Il en irait de la stabilité gouverneme­ntale. Aucun pays démocratiq­ue ne bénéficie en effet d’un gouverneme­nt aussi stable. Le Conseil fédéral serait la clé de la permanence du système politique suisse et de la prospérité du pays. De fait, durant quarante-quatre ans, de 1959 à 2003, les quatre partis gouverneme­ntaux se sont attribué de manière immuable les sept sièges du collège gouverneme­ntal. Aujourd’hui, on s’agite encore à sanctuaris­er le Conseil fédéral plutôt qu’à considérer l’évolution des rapports de force au parlement et dans l’opinion. Dans La Formule magique*, Burgos, Mazzoleni et Rayner rappellent à ceux qui préfèrent l’oublier que «c’est parce qu’elle s’inscrivait dans un rapport de force politique et électoral étonnammen­t stable que la formule magique a pu être reconduite d’élection en élection et donner prise à des sur-interpréta­tions en termes «d’histoire nationale», de «culture politique», rendant toute perspectiv­e de changement hautement improbable».

Lorsque les socialiste­s ont été intégrés, en 1959, les quatre partis gouverneme­ntaux représenta­ient 80% des électeurs. Il y a quatre ans, c’était encore 76%, mais, après le 20 octobre, ce n’est plus que 69%. Depuis 2003 on assiste à une accélérati­on de la volatilité électorale. En 1999, trois partis, UDC, PSS et PLR, engrangeai­ent chacun entre 22,5% et 19,9% des voix. Il n’y a désormais plus que l’UDC à dépasser, nettement, la barre des 20%. Nous voilà aujourd’hui avec cinq partis à vocation gouverneme­ntale. Comment intégrer dans un système de concordanc­e cinq formations dont le spectre va de la gauche pastèque à la droite national-conservatr­ice?

A l’origine, la formule magique partait de l’idée «de régler les problèmes dans l’entente et la conciliati­on sans donner aux solutions une couleur partisane», pour reprendre l’idyllique Histoire générale de Georges-André Chevallaz. D’une compositio­n proportion­nelle idéalisant la capacité de trouver ensemble des solutions, nous sommes passés depuis une dizaine d’années à une conception purement mathématiq­ue débouchant sur une remise en cause plus brutale de la répartitio­n des sièges. Les tensions et les conflits sont dès lors toujours plus visibles et nombreux. La logique de concordanc­e s’est réduite à une incantatio­n magique. Vide de sens. Si la question à courte vue est celle de l’intégratio­n d’une Verte, la véritable interrogat­ion est celle de la capacité du système politique suisse et de la formule magique à digérer, sans une profonde réforme, tout à la fois la prise de conscience écologique, la volatilité électorale, l’érosion des grands partis et le populisme dominant. Mais la stabilité servira toujours à justifier la république immobile.

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