La république immobile
De la stabilité à l’immobilisme, il n’y a qu’un pas. Le vieil aphorisme de Lichtenberg va encore servir. Car la candidature au Conseil fédéral de la Verte Regula Rytz ébranle la logique du système de répartition du pouvoir. Elle suscite un réflexe de peur et de rejet. Trop tôt, dans quatre ans, quand les Verts auront mûri: les bonnes raisons ne manquent pas de lui fermer la porte. Mais nul ne s’y trompe: il s’agit de prolonger le plus longtemps possible l’actuel partage du pouvoir. La formule magique, qui voulait que les quatre grands partis se répartissent les hochets, est en effet menacée par les nouveaux rapports de force issus des élections du 20 octobre.
Il en irait de la stabilité gouvernementale. Aucun pays démocratique ne bénéficie en effet d’un gouvernement aussi stable. Le Conseil fédéral serait la clé de la permanence du système politique suisse et de la prospérité du pays. De fait, durant quarante-quatre ans, de 1959 à 2003, les quatre partis gouvernementaux se sont attribué de manière immuable les sept sièges du collège gouvernemental. Aujourd’hui, on s’agite encore à sanctuariser le Conseil fédéral plutôt qu’à considérer l’évolution des rapports de force au parlement et dans l’opinion. Dans La Formule magique*, Burgos, Mazzoleni et Rayner rappellent à ceux qui préfèrent l’oublier que «c’est parce qu’elle s’inscrivait dans un rapport de force politique et électoral étonnamment stable que la formule magique a pu être reconduite d’élection en élection et donner prise à des sur-interprétations en termes «d’histoire nationale», de «culture politique», rendant toute perspective de changement hautement improbable».
Lorsque les socialistes ont été intégrés, en 1959, les quatre partis gouvernementaux représentaient 80% des électeurs. Il y a quatre ans, c’était encore 76%, mais, après le 20 octobre, ce n’est plus que 69%. Depuis 2003 on assiste à une accélération de la volatilité électorale. En 1999, trois partis, UDC, PSS et PLR, engrangeaient chacun entre 22,5% et 19,9% des voix. Il n’y a désormais plus que l’UDC à dépasser, nettement, la barre des 20%. Nous voilà aujourd’hui avec cinq partis à vocation gouvernementale. Comment intégrer dans un système de concordance cinq formations dont le spectre va de la gauche pastèque à la droite national-conservatrice?
A l’origine, la formule magique partait de l’idée «de régler les problèmes dans l’entente et la conciliation sans donner aux solutions une couleur partisane», pour reprendre l’idyllique Histoire générale de Georges-André Chevallaz. D’une composition proportionnelle idéalisant la capacité de trouver ensemble des solutions, nous sommes passés depuis une dizaine d’années à une conception purement mathématique débouchant sur une remise en cause plus brutale de la répartition des sièges. Les tensions et les conflits sont dès lors toujours plus visibles et nombreux. La logique de concordance s’est réduite à une incantation magique. Vide de sens. Si la question à courte vue est celle de l’intégration d’une Verte, la véritable interrogation est celle de la capacité du système politique suisse et de la formule magique à digérer, sans une profonde réforme, tout à la fois la prise de conscience écologique, la volatilité électorale, l’érosion des grands partis et le populisme dominant. Mais la stabilité servira toujours à justifier la république immobile.