Maracaibo, trésor perdu du Venezuela
La ville est le coeur de l’industrie pétrolière dans ce pays qui détient les premières réserves d’or noir du monde. Elle devrait être un paradis pour ses habitants. Les crises économique et politique l’ont transformée en enfer
Sur la terrasse de son appartement, Maria Carolina observe son quartier sombrer peu à peu dans l’obscurité. Le soleil vient de disparaître derrière les gratte-ciel de Maracaibo. «L’électricité a sauté il y a six heures», peste-t-elle en essuyant la sueur qui perle sur son front. Elle vit au dernier étage, et son appartement peut devenir une vraie fournaise dans cette ville où les températures varient entre 30 et 40 degrés toute l’année. «L’air conditionné a cramé à cause des coupures», précise cette jeune maman.
Autrefois, Maracaibo était la ville la plus moderne du Venezuela. Les compagnies pétrolières foraient près de deux tiers du pétrole vénézuélien dans son lac, soit deux tiers de la richesse nationale. Aujourd’hui, la ville est la plus affectée par le rationnement électrique imposé par le gouvernement et la prospérité paraît bien loin. Certains quartiers sont encore privés d’électricité douze heures par jour.
«Coupures totales d'électricité»
«Maracaibo se trouve au bout de la chaîne de distribution du Venezuela», explique un ancien fonctionnaire de Corpoelec, la société nationale d’électricité, sous couvert d’anonymat. Les centrales thermoélectriques de la ville sont au chômage technique faute d’entretien, et l’électricité vient essentiellement des grands barrages du Caroní, à l’exact opposé du Venezuela. Quand cela arrive à Maracaibo, ce qu’il reste de courant est d’abord dirigé vers les points névralgiques: les hôpitaux, les casernes, etc. «C’est déjà un progrès, reconnaît l’ingénieur. Au printemps les coupures étaient totales.»
Le reste des services publics en revanche est en état de déliquescence total. «Le plus grave, c’est l’accès à l’eau», alerte Juan Berríos Ortigoza, coordinateur de la Commission pour les droits de l’homme de l’Etat de Zulia. Beaucoup de pompes ne fonctionnent plus et le réseau de canalisations n’est presque plus entretenu. «En moyenne, les quartiers encore alimentés reçoivent de l’eau tous les 20-25 jours, assure-t-il. C’est peu, mais c’est déjà une chance.»
A Los Haticos, un quartier populaire du sud de Maracaibo, cela fait des mois que plus une goutte d’eau ne sort du robinet. Grâce à des tuyaux d’arrosage accrochés les uns aux autres par des bouts de scotch, des rues entières se sont raccordées au réseau des quartiers voisins. «Le problème, c’est que l’eau qu’on récupère est très sale, très ferreuse», explique Maria, une riveraine. Dans chaque maison, de grandes cuves ont été placées pour récupérer l’eau de pluie. Des habitants passent leurs journées à chercher des points d’eau partout dans la ville. Les moins regardants se servent et se baignent directement dans les eaux polluées du lac Maracaibo. Les centaines de puits de forage abandonnés qui s’y trouvent déversent constamment des litres de pétrole qui noircissent les rives, déjà recouvertes par les déchets de la ville que plus personne ne ramasse.
Dengue et gale
Les conséquences sanitaires sont gravissimes. Los Haticos, comme de nombreux autres quartiers de Maracaibo, est rongé par la dengue et la gale. La peau d’Omar, la soixantaine, est criblée de croûtes et de petites cicatrices. Il ne cesse de se gratter: «Je n’ai pas les moyens d’acheter des médicaments, pas d’eau pour me laver régulièrement, et évidemment la chaleur n’aide pas.» A quelques maisons de là, un jeune homme est mort il y a peu faute de pouvoir être pris en charge par l’hôpital voisin. «Il fallait acheter nous-mêmes le matériel pour l’opération et les traitements. Il y en avait pour 300 dollars, c’était impossible», se souvient Maria.
A l’hôpital central de Maracaibo, «l’un des mieux lotis» selon l’un de ses médecins, qui préfère rester anonyme, il n’y a pas d’eau, presque aucun médicament ni de matériel médical en bon état. Les patients errent dans des couloirs poussiéreux, les murs sont fissurés, et les chambres se résument à un lit de camp et à un évier qui ne sert plus. «Là je suis seul aux urgences, sans infirmier, et je n’ai qu’un seul kit de suture qui met une heure à stériliser entre deux patients, témoigne le médecin. J’ai l’impression de faire de l’humanitaire au fin fond de l’Afrique, sans aide humanitaire.» Un travail de surcroît presque bénévole: le salaire est à peine supérieur au revenu mensuel minimum, qui équivaut à une dizaine de francs suisses. Ce qui explique que le personnel se soit réduit comme une peau de chagrin.
«La ville la plus pauvre et la plus chère du pays»
A Maracaibo, ceux qui ne sont pas encore partis survivent soit grâce à l’argent que leur envoient leurs proches partis vivre à l’étranger, soit de la contrebande avec la Colombie voisine. «C’est à la fois la ville la plus pauvre et la plus chère du pays, explique Ezio Angelini, président de la Chambre de commerce. L’inflation y est plus rapide, et 96% de l’économie est dollarisée.» L’essentiel de cette économie est devenue informelle, comme en témoignent les revendeurs d’essence que l’on croise à chaque coin de rue ou l’immense marché de Las Pulgas, à côté du port. Ces anciennes halles ont fermé et sont maintenant occupées par des tables de bois sur lesquelles sont exposés toutes sortes de produits, médicaments, nourriture, en provenance de Colombie. «Plus de la moitié des commerces ont fermé à cause des pillages lors des grandes coupures du mois de mars», regrette Ezio Angelini.
«Plus de la moitié des commerces ont fermé à cause des pillages lors des grandes coupures du mois de mars»
EZIO ANGELINI,
PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE MARACAIBO
La prospérité de cette ville qui se voulait à la pointe de la modernité dans les années 1970 grâce à son pétrole paraît bien loin. «Autrefois, 1,5 million de barils sortaient chaque jour du lac, rappelle le président de la Chambre de commerce. Aujourd’hui, à peine 200000.» Les installations pétrolières sont à l’image de la ville: désolées. Il suffit d’un tour de nuit dans Maracaibo pour s’en rendre compte. Ses grandes rues à l’américaine ne sont plus éclairées, les voitures roulent au pas pour éviter les trous dans la chaussée, leurs phares sont les dernières lueurs d’une ville fantomatique plongée dans les ténèbres.