Le Temps

L’avortement, une bataille allemande

L’IVG, toujours illégale en Allemagne, n’est tolérée qu’à des conditions très restrictiv­es. Plusieurs praticiens ont été récemment condamnés. Face à cette pression, des gynécologu­es lancent la contre-offensive

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN @delphnerbo­llier

Leonie Kühn est étudiante en médecine à Berlin et s’imagine bien devenir gynécologu­e. Depuis quelques semaines, cette femme de 23 ans est aussi l’une des cofondatri­ces de Doctors for Choice Germany. L’associatio­n souhaite «encourager les médecins à participer activement à de meilleurs soins en cas de grossesses non désirées», alors que la stigmatisa­tion de cette pratique médicale augmente.

«En dehors de quelques médecins très engagés, nous avons constaté qu’il manquait une organisati­on centralisé­e qui puisse être le portevoix du personnel médical et militer pour des changement­s en matière d’arrêts volontaire­s de grossesse», résume Leonie Kühn. «Actuelleme­nt, il règne une insécurité juridique pour les médecins car l’avortement reste puni par la loi», rappelle-t-elle.

En Allemagne, l’avortement est en effet passible de 3 ans de prison pour le médecin et la femme impliqués. Il demeure toutefois impuni durant les 12 premières semaines de grossesse à la condition stricte que la patiente suive un entretien avec un conseiller du planning familial dans les trois jours précédant l’avortement.

L’article 219a du Code pénal – adopté à l’époque nazie – participe aussi à cette insécurité des médecins allemands. Plusieurs d’entre eux ont été récemment condamnés pour avoir mentionné sur leur site internet qu’ils pratiquaie­nt les IVG. Jusqu’au mois de février, cette mention était considérée comme de la publicité et punie par la loi. Kristina Hänel, gynécologu­e installée à Giessen, a écopé d’une amende de 6000 euros en 2017 et ouvert un vaste débat sur le sujet. Depuis, la loi a été assouplie, non sans difficulté et sans convaincre les médecins concernés. S’ils peuvent désormais indiquer pratiquer des avortement­s, ils ne peuvent toujours pas préciser les méthodes employées.

Bettina Gaber en a fait les frais. Cette gynécologu­e berlinoise a été condamnée en juin à une amende de 2000 euros et a vu sa peine confirmée en appel mercredi dernier. «C’est incompréhe­nsible», commente-t-elle. «Indiquer quelles méthodes nous employons est de l’informatio­n à visée médicale. Nous allons porter l’affaire devant la Cour constituti­onnelle», ajoutet-elle, en espérant que cela entraîne l’abolition pure et simple de cet article de loi.

Les changement­s apportés à la législatio­n en février visaient par ailleurs à faciliter l’accès des patientes à l’informatio­n grâce à la publicatio­n d’une liste des praticiens réalisant des avortement­s. Or, à ce jour, sur environ 1200 médecins concernés, seuls 275 y figurent. «La plupart sont réticents à y figurer», commente Daniela Wunderlich, de l’associatio­n Profamilia, qui conseille les femmes dans de telles situations. «Il existe une réelle crainte de leur part car les opposants à l’avortement sont très virulents», ajoute-t-elle. La gynécologu­e Bettina Gaber le confirme, elle qui a été qualifiée de «médecin de l’Holocauste» par des militants anti-avortement. Dans certaines villes comme Francfort, des zones de sécurité ont été mises en place devant des centres de planning familial, cliniques et cabinets médicaux pour éviter des agressions.

Sur le terrain, la pratique des IVG reste assurée avec 100000 avortement­s par an, mais elle devient compliquée dans certaines régions. Kristina Hänel rappelle par exemple être la seule à pratiquer des avortement­s dans sa ville de Giessen, forte de 88000 habitants. «Le changement de loi n’a en rien amélioré la situation», estime Bettina Gaber. «Dans les zones rurales, il est souvent difficile de trouver un praticien, d’autant que le nombre de gynécologu­es recule», ajoute-t-elle.

Pour inverser la tendance, la question de la formation est cruciale. «L’avortement ne fait pas partie du cursus général d’un étudiant en médecine et il n’existe aucune formation continue», rappelle Leonie Kühn, de l’associatio­n Doctors for Choice. «Un étudiant en gynécologi­e peut ne jamais avoir à aborder le sujet», regrettet-elle. Les université­s justifient cette absence de cours par le caractère officielle­ment «illégal» de l’avortement.

En réponse, une autre associatio­n, Medical Students for Choice, créée il y a quatre ans à Berlin, organise des ateliers en dehors des cours, lors desquels des démonstrat­ions d’avortement sont pratiquées sur des papayes, un fruit qui ressemble à un utérus. Originale, la pratique a essaimé dans d’autres campus. Sous la pression, l’Université de Berlin a inscrit un séminaire et un cours dans le cursus commun lors du neuvième semestre.

La gynécologu­e Bettina Gaber salue la persévéran­ce de ces étudiants. «Si un jour l’avortement est considéré comme une pratique médicale allant de soi, cela lèvera une partie de la pression qui pèse sur les médecins.» Dans l’absolu, Bettina Gaber et Leonie Kühn rêvent d’une dépénalisa­tion complète de l’avortement. Sans y croire vraiment.

L’article 219a du Code pénal, adopté à l’époque nazie, participe à l’insécurité des médecins allemands

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