Guy Parmelin face à la fronde vigneronne
Les vendanges ont été parfaites, et pourtant les vignerons dépriment. Face à la concurrence étrangère, ils ne parviennent plus à écouler leurs stocks et viennent exiger des mesures tarifaires à Berne lundi prochain, avant la rencontre avec le chef de l’Economie le 17 décembre
C’était le 10 septembre 2001. Une longue colonne de quelque 130 tracteurs se met en route depuis l’Arc lémanique pour rejoindre la place fédérale à Berne. Les vignerons occupent ce lieu mythique des colères populaires pour signifier leur fait au chef de l’Economie d’alors, Pascal Couchepin. Dix-huit ans plus tard, la manifestation sera moins bruyante le lundi 2 décembre. La vague verte est passée par là. Mais les soucis, les douleurs et les revendications sont presque les mêmes, comme si le temps s’était arrêté.
Une fois de plus, l’action est placée à l’enseigne des «raisins de la colère». A son origine, un viticulteur caviste de 36 ans de Yens sur Morges, Alexandre Fischer. Un homme fâché, mais qui met les formes. Pas de cortège ni de rassemblement sur la place Fédérale – les manifestations sont interdites lors des sessions – pour troubler la rentrée des élus. Pas de slogans agressifs non plus. «Nous voulons d’abord faire passer un message positif», insiste-t-il. «Les produits locaux, c’est écolo» et «Pour sauver la planète, consommez helvète» lira-t-on sur les banderoles.
C’est un comble. Le millésime 2019 s’annonce splendide après des vendanges parfaites. Et pourtant, jamais la situation des vignerons n’a paru aussi précaire, eux qui accumulent des stocks qu’ils ne parviennent plus à écouler face à la concurrence étrangère. De surcroît, la consommation des Suisses ne cesse de baisser, ce qui n’arrange rien. Ceux-ci boivent environ 150 millions de litres de vin étranger et 80 millions de litres de vin suisse par année.
«Guy Parmelin ne remet pas en cause le libre-échange. Il ne défend plus que l’économie, il n’est plus vigneron»
WILLY CRETEGNY, VIGNERON-ENCAVEUR
Dans ce contexte alarmant, les viticulteurs demandent des mesures aux autorités fédérales. Ils veulent que Berne abaisse le contingent tarifaire d’importation de 170 à 100 millions de litres. Peu avant les élections fédérales, le candidat genevois au Conseil des Etats Willy Cretegny a même entamé une grève de la faim pour souligner la gravité de la situation.
De tout temps, il a fustigé le libreéchange et l’ouverture des frontières. C’est déjà lui qui avait sonné la révolte en 2001. Aujourd’hui président de l’Association suisse des vignerons-encaveurs indépendants, il récidive. Le 25 juin dernier, le conseiller fédéral Guy Parmelin, actuel chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) a reçu une délégation de cette association. Il n’est pas entré en matière sur la principale revendication protectionniste, ce qui a beaucoup agacé Willy Cretegny: «Guy Parmelin ne remet pas en cause le libre-échange. Il ne défend plus que l’économie, il n’est plus vigneron. Il est pire que son prédécesseur, Johann Schneider-Ammann», s’irrite le vigneron de Satigny, aujourd’hui âgé de 63 ans.
«Swiss Wine great again»
«Réduire le volume du contingent de vin impliquerait de modifier les engagements internationaux en matière d’accès au marché de la Suisse auprès de l’OMC», explique-t-on à l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). Il y a certes une clause de sauvegarde pour augmenter temporairement les droits de douane en cas de situation extraordinaire. «Mais la situation actuelle des importations ne satisfait pas ces conditions», ajoute l’OFAG.
Le cri d’alarme du monde de la vigne a pourtant fini par faire bouger un tant soit peu les choses. Guy Parmelin, qui les recevra le 17 décembre prochain, n’est pas resté indifférent à la fronde des «raisins de la colère». Jeudi dernier, ce même OFAG a annoncé un renforcement du soutien – ordinairement de 3,2 millions par an – à la promotion des vins suisses. L’organisme qui en est chargé, Swiss Wine Promotion, vient de présenter un concept novateur auprès de la grande distribution et de la gastronomie. Il a mis en place un plan d’action, devisé à plusieurs centaines de milliers de francs, avec un logo spécifique pour donner une identité au vin suisse par rapport aux vins étrangers. Le but est de retisser le lien rompu entre la population suisse et son secteur vitivinicole. «Nous voulons dire aux consommateurs qu’ils peuvent trouver du vin suisse de qualité dans tous les segments de prix», indique son directeur, Nicolas Joss. Dont le message rejoint celui des vignerons: «Boire suisse est un geste concret pour la planète.»
Aux yeux des manifestants vignerons, cette mesure fédérale reste «largement insuffisante». Pour leur part, quatre jeunes Valaisans ont préféré le charme et la séduction à la colère. Ils ont lancé l’opération «Swiss Wine great again» en offrant une bouteille à tous les parlementaires. «Nous avons voté pour vous, à vous de voter pour nous», remarquent-ils.
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