FILMER L’INVISIBLE
Une monographie décortique l’oeuvre passionnante du Coréen Lee Chang-dong
◗ En mai dernier, Bong Joon-ho offrait à la Corée du Sud sa première Palme d’or. Une consécration ne souffrant d’aucune contestation, tant ce croisement entre la chronique sociale et le film de genre qu’est Parasite est assurément un des meilleurs films de l’année… voire de la seconde décennie du XXIe siècle.
L’an dernier déjà, un autre long métrage coréen aurait sans rougir pu accéder au graal cannois: Burning, fascinante adaptation par Lee Chang-dong d’une nouvelle d’Haruki Murakami, Les Granges
brûlées. Encore relativement méconnu en dehors des cercles cinéphiliques, Lee n’a signé que six films depuis Green Fish en 1996, à l’extrême opposé d’un Hong Sang-soo, qui, sur la même période, a réalisé plus de 20 titres. Dans le long entretien qu’il a accordé à Antoine Coppola – grand spécialiste du cinéma coréen – à l’occasion de la publication de la monographie que lui consacrent les Editions Dis Voir, il explique que son but est de faire vivre au spectateur une expérience cinématographique le poussant à se poser des questions à travers la manière dont le récit est construit. «Le monde devient de plus en plus complexe, alors pourquoi le cinéma le simplifie-t-il d’avantage?» se demandet-il, observant le succès des blockbusters de super-héros.
AMÈRE NOMINATION
Pour avoir été ministre de la Culture avant que les Etats-Unis ne poussent la Corée à abandonner le système de quotas qui avait permis une redynamisation commerciale et artistique de l’industrie indigène, Lee connaît bien cette problématique de l’impérialisme culturel américain. Mais dans Lee Chang-dong, c’est sa filmographie qu’il évoque en profondeur, de même que son enfance et sa passion pour l’écriture, qualifiant simplement son passage en politique d’«amère nomination».
Deux essais, sur la représentation des corps, la notion d’invisibilité et le motif de la disparition, viennent compléter cet ouvrage intellectuellement stimulant.
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