Sur les traces de Sherlock Holmes et son double
LIVRE L’autrice française et spécialiste du détective britannique Anne Martinetti sort un livre dédié à ses nombreux voyages, passablement nourris par ceux de son créateur et aventurier dans l’âme Sir Conan Doyle
Tout bon détective privé doit savoir fourrer son nez partout. Et Sherlock Holmes, le mythique enquêteur britannique, a pris cette tâche très au sérieux. Au fil des romans et nouvelles, il a régulièrement quitté le confort du 221B Baker Street pour fureter au-delà des frontières. Des expéditions qui ne sont pas sans rappeler celles de son créateur, Sir Arthur Conan Doyle, éternel aventurier.
Après avoir exploré les recettes préférées de Sherlock dans Alimentaire mon cher Watson (2010) et supervisé la nouvelle traduction de l’oeuvre de Conan Doyle, la directrice éditoriale et autrice française Anne Martinetti a voulu cartographier les périples du détective. Publié au début du mois, Sur la piste de Sherlock Holmes est un genre de guide de voyage, riche en photos et anecdotes sur les allées et venues du héros et de son auteur – jusqu’en Suisse. Petite leçon de géographie, où fiction et réalité se confondent.
Comment avez-vous suivi la piste d’Arthur Conan Doyle? J’ai couplé ses biographies, dont une autobiographie s’intitulant Ma Vie aventureuse, et les récits de Sherlock Holmes. En mettant les deux en parallèle, je me suis aperçue que l’écrivain faisait, comme on pouvait s’y attendre, voyager Sherlock et le Dr Watson là où lui-même s’était rendu. Les expériences, les gens qu’il a rencontrés ont infusé ses livres… même si, en réalité, l’écrivain a visité bien plus d’endroits encore que ses personnages! Il a été engagé comme chirurgien sur un baleinier en Arctique, avant de travailler comme grand reporter lors de la guerre des Boers ou celle du Soudan. En fait, mon propos était de dire: à une époque où il n’était pas évident d’explorer le monde, cet homme n’a jamais cessé de bouger.
Pourtant, sa vie avait commencé dans les faubourgs d’Edimbourg… Oui, à Picardy Place, un des quartiers les plus populeux de la ville. Je m’y suis rendue, mais la maison a disparu. L’enfance de Conan Doyle, c’était du Dickens: ils étaient très nombreux, il n’y avait pas beaucoup à manger et lui se battait avec les enfants d’en face. Mais Conan Doyle est plus tard devenu médecin, puis richissime grâce aux romans de Sherlock Holmes, qui ont rapidement eu du succès.
Ce qui lui a permis de parcourir le monde. Comment les aventures de Conan Doyle ont-elles nourri celles de Sherlock? Plutôt que de constituer des toiles de fond, les voyages de l’écrivain ont permis d’enrichir les personnages de ses récits. Même s’il n’y sera jamais mis en scène, on découvre que Sherlock s’est rendu au Tibet, où il a discuté avec le dalaïlama, au Soudan, à Chicago, à Lhassa. Toute une partie d’Une Etude en rouge se déroule au Far West – Conan Doyle y avait donné des conférences.
Les lecteurs de l’époque étaient sans doute friands d’évasion et d’exotisme. C’était la mode. L’Illustrated London News, magazine où s’étalent des photoreportages du monde entier, était le plus lu à la fin du XIXe. L’empire colonial imprégnait tout: les vêtements qu’on portait, ce qu’on mangeait… Mrs Hudson, la logeuse de Sherlock Holmes, lui préparait d’ailleurs des currys pour le petit-déjeuner! Londres était un port, une porte d’entrée sur le monde, et le propos des auteurs comme Doyle, Agatha Christie, Oscar Wilde ou Robert Louis Stevenson, c’était l’inconnu.
Aujourd’hui, on associe d’avantage Sherlock Holmes aux Cornouailles et autres paysages anglais désolés. Difficile de trouver de meilleurs théâtres pour le crime? Si vous traversez la lande du Dartmoor, où se déroule Le Chien de Baskerville, au coucher du soleil, vous imaginerez sans peine un tas d’histoires sombres. J’ai été frappée par les routes minuscules qui en font le tour, quasiment fermées car la végétation au-dessus se rejoint. Et quand vous arrivez sur la lande, il n’y a rien à part une ancienne prison de haute sécurité qui a servi d’hôpital et d’orphelinat. Facile d’imaginer qu’il s’y cache un monstre!
Pourtant c’est en Suisse que Conan Doyle fait «mourir» – temporairement – Sherlock Holmes dans «Le Dernier Problème» en 1893, lorsqu’il tombe dans les chutes du Reichenbach, dans le canton de Berne… C’est drôle, parce qu’en Suisse on meurt beaucoup! Agatha Christie a elle aussi failli tuer Hercule Poirot en Suisse dans Les Travaux d’Hercule. Les Anglais ont peut-être la trouille des montagnes… Conan Doyle décrit d’ailleurs les torrents vertigineux, les reliefs escarpés, dangereux. L’écrivain se rendra à plusieurs reprises en Suisse, le plus souvent pour soigner les bronches de sa femme atteinte de la tuberculose. Il y écrira énormément, des Sherlock mais aussi Les Aventures du brigadier Gérard – qui feront un flop –, en s’installant à chaque fois pour plusieurs mois avec ses malles et toute sa documentation, jusqu’au bord du lac Léman.
Votre livre avance même que le Britannique a participé à populariser le ski comme activité touristique! En arrivant à Davos, Doyle a constaté que les paysans se déplaçaient à skis mais pas les touristes, qui n’y parvenaient pas. Et il a commencé à les imiter – il y a des photos impayables de lui sur des lattes en 1882 – et en a parlé à son retour en Angleterre. Mes recherches indiquent que c’est à partir de ce moment-là qu’on trouve, dans les journaux de l’époque, le début de la publicité pour les stations de ski en Suisse.
Une telle cartographie des aventures de Doyle et son héros est-elle propice au pèlerinage? Totalement. Depuis des décennies, les fans s’amusent à suivre les traces du détective – et disons que les offices du tourisme ont tout intérêt à organiser des «Sherlock’s tours». Aujourd’hui, le bistrot londonien où mange Sherlock dans la série télévisée dérivée, le Speedy’s, est envahi de Japonais!
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ANNE MARTINETTI ÉCRIVAINE
«En arrivant à Davos, Doyle a constaté que les paysans se déplaçaient à skis mais pas les touristes, qui n’y parvenaient pas. Et il a commencé à les imiter»