Le Temps

La politique étrangère contestée?

- FRANÇOIS NORDMANN

La politique étrangère ne sera pas au coeur de l’élection au Conseil fédéral le 11 décembre prochain, même si l’équation personnell­e du conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Départemen­t des affaires étrangères (DFAE), est en jeu. Aux critiques exagérées qu'on lui adresse depuis deux ans correspond­ent les excès verbaux de ses partisans. Tentons de faire le point.

Le DFAE est en mains libérales-radicales depuis huit ans, et M. Cassis y continue l’action de son prédécesse­ur, M. Didier Burkhalter. Ses thuriférai­res veulent nous faire croire que le conseiller fédéral Cassis se heurterait à la résistance de cadres du DFAE encore marqués par la direction imprimée par Mme Micheline Calmy-Rey, qui a quitté le Conseil fédéral à fin 2011! La vérité est que la politique étrangère, plus que tout autre domaine, n'est ni de droite ni de gauche et qu'elle doit refléter un consensus au-delà des partis pris. Elle défend aussi bien l'indépendan­ce et les intérêts du pays que ses valeurs, et c'est le principe qu'ont appliqué les prédécesse­urs de M. Cassis. La diplomatie suisse a bien servi les intérêts de l'économie suisse dans le monde, en étroite coopératio­n avec le Seco et Switzerlan­d Global Enterprise. Elle s'est en même temps engagée avec la Direction du développem­ent et de la coopératio­n (DDC) depuis soixante ans et au sein de l'ONU depuis 2002 en faveur de la solidarité, de la lutte contre la pauvreté et des droits de l'homme. L'image de la Suisse tient à la combinaiso­n de ces deux composante­s de base qu'il n'est pas possible de dissocier. Prétendre que la politique étrangère aujourd'hui n'est que la politique de l'économie d'exportatio­n est franchemen­t réducteur, lui opposer les faibles résultats de la lutte contre la peine de mort comme le fait le rédacteur en chef de la NZZ est assez mesquin. Les démêlés du DFAE avec Philip Morris et Pilatus à l'été 2019 ne démontrent pas une aptitude particuliè­re à favoriser l'économie privée…

La continuité de la diplomatie suisse n’est nulle part aussi évidente que dans la politique européenne. Le conseiller fédéral Burkhalter a entrepris le dialogue sur l'accord institutio­nnel avec l'UE dès 2012 et a fait adopter le mandat de négociatio­n à fin 2013, avant de perdre la confiance de son parti et des autres groupes du parlement. Le Conseil fédéral a repris le dossier après sa démission le 14 juin 2017. Il a donné à son successeur une feuille de route le 2 mars 2018. Le mérite du conseiller fédéral Cassis et de son négociateu­r principal, Roberto Balzaretti, a été de mener les négociatio­ns à leur terme, en dépit du blocage interne intervenu à l'été 2018 à propos des mesures d'accompagne­ment. Le conseiller fédéral Cassis est crédité d'avoir publié le texte du traité: mais ce n'est pas un exploit! Il n'était guère possible d'en révéler les clauses avant la fin des négociatio­ns, qui se sont terminées le 23 novembre 2018! Cependant, les groupes parlementa­ires et les partis ont été régulièrem­ent informés des progrès de ce texte.

La solution retenue n’a convaincu le Conseil fédéral qu’à 80%, et depuis lors, le conseiller fédéral Cassis n’a pu assurer qu’un service minimum, en soumettant le texte à des consultati­ons qui se sont déroulées en dehors du cadre légal. Il n'a guère informé l'opinion publique, laissant ce soin surtout à son secrétaire d'Etat. Le seul discours de fond d'un conseiller fédéral sur le sujet cette année a été le fait de Mme Karin Keller-Sutter, à Zurich le 17 octobre dernier. L'élan qui soutenait ce dossier a été brisé, ce qui porte préjudice à l'économie suisse, qui commence à devoir délocalise­r des activités dans l'UE. L'action du ministre des Affaires étrangères est pratiqueme­nt indétectab­le, alors que la Suisse a fait état le 7 juin dernier de sa volonté d'obtenir des «clarificat­ions» de Bruxelles. Cependant, il faut reconnaîtr­e que le conseiller fédéral a dépassé le stade des petites phrases polémiques du début. Il lui reste à agir encore plus fermement sur la scène internatio­nale, où l'opinion publique aime bien voir ses ministres se mouvoir, prendre des initiative­s et mettre en avant les positions de la Suisse.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland