Dérives fiscales dans la prévoyance
Système de prévoyance et fiscalité, un couple d’inséparables de plus en plus fragilisé…
Le système suisse des trois piliers repose sur notre culture du compromis. Durant les années 1960, les partisans des «pensions populaires» et des caisses de pension s’affrontent. En 1972, le peuple plébiscite une hausse importante des rentes AVS financées selon le système de répartition et le développement d’un 2e pilier obligatoire financé selon le système de capitalisation. Mais comment assurer le succès du déploiement de ce compromis social sans accorder de compromis fiscal?
Les prestations de l’AVS sont financées par des cotisations prélevées essentiellement sur le revenu du travail. Alors que les prestations sont plafonnées à 28440 francs en 2019, quelles que soient les cotisations payées, le revenu soumis à l’AVS est déplafonné. En d’autres termes, toutes les cotisations dues sur un revenu moyen dépassant 85320 francs dès l’âge de 20 ans n’ont pas de contrepartie directe. C’est la définition même de l’impôt: un prélèvement pécuniaire obligatoire sur les revenus des personnes physiques ou morales, servant à couvrir les dépenses de l’Etat pour assurer le paiement des prestations dans l’AVS en l’espèce.
Ces cotisations perçues sur l’entier du revenu sont acceptables dans la mesure où le législateur a garanti une «équité» sociale grâce à la fiscalité applicable aux cotisations du deuxième pilier. La prévoyance professionnelle a pour vocation de permettre à l’assuré de maintenir son niveau de vie quel que soit son revenu. La solution de prévoyance d’une entreprise est généralement adaptée à sa population et offre la flexibilité nécessaire pour tendre vers un revenu de remplacement adéquat. Les cotisations réglementaires ordinaires et additionnelles (rachats) versées dans la caisse de pension pour atteindre ce revenu de remplacement sont entièrement déductibles du revenu imposable de manière générale.
Ce système équilibré permettant, quel que soit le montant du revenu, le prélèvement de cotisations AVS tout en offrant la déductibilité des cotisations du 2e pilier est progressivement mis à mal. Cette fragilisation est principalement due à des cas individuels d’exagération qui ont provoqué le tollé général des autorités fiscales et débouché sur des actions politiques ainsi qu’à de potentielles distorsions du système en lui-même lors de révisions législatives partielles.
Dans son «programme de stabilisation 1998», le Conseil fédéral a proposé une limitation du salaire assurable dans le 2e pilier et un plafonnement du rachat. Seule cette deuxième mesure est entrée en vigueur en 2001. La proposition de limiter le revenu assurable a finalement été adoptée facilement suite à l’«Affaire Percy Barnevik» et est entrée en vigueur en 2006. Cette première entorse à l’équilibre est passée quasi inaperçue. Elle ne pénalise certes «que» les revenus supérieurs à 858200 francs, soit dix fois le salaire moyen permettant de toucher la prestation AVS maximale, mais des contributeurs fiscaux, AVS comprise, importants de notre économie.
Dès lors, les limitations s’enchaînent. Nous pouvons citer les deux exemples suivants. Le premier concerne la personne assurée qui fait un rachat dans sa caisse de pension. De ce fait, elle est interdite de prendre une prestation sous forme de capital durant une période de trois ans dès le jour du rachat et ce, quelles qu’en soient les raisons comme, par exemple, un licenciement impliquant un départ anticipé à la retraite, sous peine de rappel d’impôt. En effet, dans un tel cas, cette personne ne se verra pas accorder la déduction du rachat effectué de son revenu ordinaire imposable. Le deuxième exemple touche les personnes venant de l’étranger et qui n’ont jamais été affiliées dans une caisse de pension suisse. Elles paient des contributions AVS sur l’ensemble de leur revenu alors qu’elles ne peuvent pas bénéficier pleinement de la déduction des rachats. Ceux-ci sont limités à 20% du revenu imposable durant les cinq premières années qui suivent leur entrée dans la caisse de pension.
Alors que l’assiette de perception de l’AVS demeure et que les cotisations augmentent au 1er janvier 2020 de 0,3% (votation du 19 mai 2019), le compromis fiscal continue de se fragiliser. Et avec la proposition faite cet été par les partenaires sociaux de financer solidairement un supplément de rente pour les personnes qui seraient touchées par une réduction du taux de conversion de 6,8% à 6,0% dans le 2e pilier, le compromis pourrait encore s’altérer davantage. En effet, une rente additionnelle serait alors financée par une cotisation salariale de 0,5% sur le revenu soumis à l’AVS jusqu’à concurrence d’un revenu annuel de 853200 francs. Dès lors, la question qui se pose est de savoir si cette dernière proposition, certes sociale et ressortant de notre culture du compromis, met véritablement à contribution les bons contributeurs quelles que soient les circonstances. Je suis impatiente de connaître plus en détail l’analyse qui a été faite par les partenaires sociaux et qui les a conduits à proposer cette mesure.
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Alors que l’assiette de perception de l’AVS demeure et que les cotisations augmentent au 1er janvier 2020 de 0,3%, le compromis fiscal continue de se fragiliser