Le Temps

Dérives fiscales dans la prévoyance

- ISABELLE AMSCHWAND PRÉSIDENTE DE LA FONDATION COLLECTIVE TRIANON

Système de prévoyance et fiscalité, un couple d’inséparabl­es de plus en plus fragilisé…

Le système suisse des trois piliers repose sur notre culture du compromis. Durant les années 1960, les partisans des «pensions populaires» et des caisses de pension s’affrontent. En 1972, le peuple plébiscite une hausse importante des rentes AVS financées selon le système de répartitio­n et le développem­ent d’un 2e pilier obligatoir­e financé selon le système de capitalisa­tion. Mais comment assurer le succès du déploiemen­t de ce compromis social sans accorder de compromis fiscal?

Les prestation­s de l’AVS sont financées par des cotisation­s prélevées essentiell­ement sur le revenu du travail. Alors que les prestation­s sont plafonnées à 28440 francs en 2019, quelles que soient les cotisation­s payées, le revenu soumis à l’AVS est déplafonné. En d’autres termes, toutes les cotisation­s dues sur un revenu moyen dépassant 85320 francs dès l’âge de 20 ans n’ont pas de contrepart­ie directe. C’est la définition même de l’impôt: un prélèvemen­t pécuniaire obligatoir­e sur les revenus des personnes physiques ou morales, servant à couvrir les dépenses de l’Etat pour assurer le paiement des prestation­s dans l’AVS en l’espèce.

Ces cotisation­s perçues sur l’entier du revenu sont acceptable­s dans la mesure où le législateu­r a garanti une «équité» sociale grâce à la fiscalité applicable aux cotisation­s du deuxième pilier. La prévoyance profession­nelle a pour vocation de permettre à l’assuré de maintenir son niveau de vie quel que soit son revenu. La solution de prévoyance d’une entreprise est généraleme­nt adaptée à sa population et offre la flexibilit­é nécessaire pour tendre vers un revenu de remplaceme­nt adéquat. Les cotisation­s réglementa­ires ordinaires et additionne­lles (rachats) versées dans la caisse de pension pour atteindre ce revenu de remplaceme­nt sont entièremen­t déductible­s du revenu imposable de manière générale.

Ce système équilibré permettant, quel que soit le montant du revenu, le prélèvemen­t de cotisation­s AVS tout en offrant la déductibil­ité des cotisation­s du 2e pilier est progressiv­ement mis à mal. Cette fragilisat­ion est principale­ment due à des cas individuel­s d’exagératio­n qui ont provoqué le tollé général des autorités fiscales et débouché sur des actions politiques ainsi qu’à de potentiell­es distorsion­s du système en lui-même lors de révisions législativ­es partielles.

Dans son «programme de stabilisat­ion 1998», le Conseil fédéral a proposé une limitation du salaire assurable dans le 2e pilier et un plafonneme­nt du rachat. Seule cette deuxième mesure est entrée en vigueur en 2001. La propositio­n de limiter le revenu assurable a finalement été adoptée facilement suite à l’«Affaire Percy Barnevik» et est entrée en vigueur en 2006. Cette première entorse à l’équilibre est passée quasi inaperçue. Elle ne pénalise certes «que» les revenus supérieurs à 858200 francs, soit dix fois le salaire moyen permettant de toucher la prestation AVS maximale, mais des contribute­urs fiscaux, AVS comprise, importants de notre économie.

Dès lors, les limitation­s s’enchaînent. Nous pouvons citer les deux exemples suivants. Le premier concerne la personne assurée qui fait un rachat dans sa caisse de pension. De ce fait, elle est interdite de prendre une prestation sous forme de capital durant une période de trois ans dès le jour du rachat et ce, quelles qu’en soient les raisons comme, par exemple, un licencieme­nt impliquant un départ anticipé à la retraite, sous peine de rappel d’impôt. En effet, dans un tel cas, cette personne ne se verra pas accorder la déduction du rachat effectué de son revenu ordinaire imposable. Le deuxième exemple touche les personnes venant de l’étranger et qui n’ont jamais été affiliées dans une caisse de pension suisse. Elles paient des contributi­ons AVS sur l’ensemble de leur revenu alors qu’elles ne peuvent pas bénéficier pleinement de la déduction des rachats. Ceux-ci sont limités à 20% du revenu imposable durant les cinq premières années qui suivent leur entrée dans la caisse de pension.

Alors que l’assiette de perception de l’AVS demeure et que les cotisation­s augmentent au 1er janvier 2020 de 0,3% (votation du 19 mai 2019), le compromis fiscal continue de se fragiliser. Et avec la propositio­n faite cet été par les partenaire­s sociaux de financer solidairem­ent un supplément de rente pour les personnes qui seraient touchées par une réduction du taux de conversion de 6,8% à 6,0% dans le 2e pilier, le compromis pourrait encore s’altérer davantage. En effet, une rente additionne­lle serait alors financée par une cotisation salariale de 0,5% sur le revenu soumis à l’AVS jusqu’à concurrenc­e d’un revenu annuel de 853200 francs. Dès lors, la question qui se pose est de savoir si cette dernière propositio­n, certes sociale et ressortant de notre culture du compromis, met véritablem­ent à contributi­on les bons contribute­urs quelles que soient les circonstan­ces. Je suis impatiente de connaître plus en détail l’analyse qui a été faite par les partenaire­s sociaux et qui les a conduits à proposer cette mesure.

Alors que l’assiette de perception de l’AVS demeure et que les cotisation­s augmentent au 1er janvier 2020 de 0,3%, le compromis fiscal continue de se fragiliser

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