«Les échanges de jetons numériques sont facilités»
INNOVATION Les entreprises qui veulent émettre des actions sous forme de jetons numériques pourront les inscrire dans un registre qui aura force de loi. C’est l’objectif d’un projet du Conseil fédéral, qui veut adapter le cadre réglementaire à la blockcha
Le droit se met à jour, pour suivre les innovations technologiques. Le Conseil fédéral veut adapter le cadre réglementaire à la blockchain et aux autres technologies de registres décentralisés. Un projet de loi dévoilé le 27 novembre prévoit de faciliter les échanges d'actions ou d'obligations numérisées sous forme de jetons. Ce texte élaboré avec un panel d'experts uniquement alémaniques, sur lequel le parlement devrait se prononcer début 2020, veut créer un nouvel outil, le droit-valeur inscrit. Les explications de Leandro Lepori et Adrien Tharin, avocats spécialisés dans les nouvelles technologies chez PwC à Genève.
Qu’est-ce qu’un droit-valeur inscrit, le nouvel instrument que souhaite créer le Conseil fédéral, et à quoi peut-il servir?
Adrien Tharin: Il correspond à ce que nous connaissons aujourd'hui comme des jetons numériques (tokens). Ce nouveau titre pourra représenter un titre de créance (comme une action ou une obligation) inscrit sur un registre de type décentralisé (blockchain). Il est déjà possible d'échanger des jetons numériques qui incorporent certains droits, mais pour que le transfert de propriété soit pleinement reconnu, le droit existant impose en principe de recourir à la forme écrite, c'est-àdire un véritable contrat. Or, en pratique, lors d'un échange de jetons numériques, les parties ne passent pas de convention écrite – ce serait par ailleurs contradictoire avec l'ambition de dématérialisation de cette nouvelle technologie.
Et alors? Leandro Lepori: Cela peut ouvrir la porte à des contestations, puisque faute de respecter l'exigence de forme, le transfert ne sera pas juridiquement reconnu. L'instauration d'une nouvelle catégorie de droits-valeurs doit mettre fin à la contradiction qui existe entre, d'une part, la facilité à échanger un jeton numérique et, d'autre part, des exigences de forme d'un autre temps.
Comment fonctionnera le futur système proposé par le Conseil fédéral? Leandro Lepori: Les entreprises qui souhaitent émettre des actions ou des obligations sous forme numérique pourront le faire en inscrivant ces titres dans un registre décentralisé. En cas de transfert, il ne sera plus indispensable de démontrer qu'un accord a été conclu en la forme écrite. Grâce à la blockchain, le fait d'envoyer un jeton de ce type garantira que sa propriété aura elle aussi été transférée.
Ces registres seront-ils accessibles au public ou réservés aux investisseurs? Adrien Tharin: Il appartiendra à l'entreprise elle-même de décider, les registres décentralisés pouvant être complètement ouverts ou réservés à certains usagers seulement. De manière plus générale, le Conseil fédéral n'a pas voulu se montrer restrictif quant aux choix technologiques, ni créer un cadre réglementaire trop rigide qui pourrait se révéler obsolète avant même d'entrer en vigueur, vu la vitesse à laquelle évolue la technologie. C'est aussi pour cette raison que le gouvernement fédéral n'a pas souhaité créer une loi spéciale traitant des technologies de registres distribués mais adapter des lois existantes.
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