Le Temps

Accro au droit

Passionné par la matière juridique, il a cofondé un site internet qui rencontre un beau succès auprès des spécialist­es. De quoi encourager son enthousias­me studieux

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

«On était des amateurs et on s’est lancés sans trop se poser de questions et sans imaginer le succès potentiel»

Il est une espèce rare qui se nourrit essentiell­ement de jurisprude­nce. Célian Hirsch, avocat, assistant-doctorant à la Faculté de droit de l’Université de Genève et surtout cofondateu­r du site LawInside.ch, avoue une passion pour les arrêts du Tribunal fédéral qu’il consomme sans modération et résume gratuiteme­nt à l’intention de tous les mordus. Cette plateforme, doublée d’une newsletter hebdomadai­re, s’est forgé une solide réputation. De quoi susciter un brin de fierté chez ce jeune homme de 28 ans: «Parfois, quand je croise un professeur dans les couloirs, il me dit: «Je vous ai lu.» C’est une belle reconnaiss­ance.»

Tout porte à croire que les bonnes fées juridiques se sont penchées sur son berceau. Avec un grandpère professeur de droit commercial et un père avocat, Célian Hirsch baigne très tôt dans une atmosphère de plaisir studieux. La tentation de se diriger vers des études d’économie, ou de mathématiq­ues, sera brève. Il va s’inscrire dans la tradition familiale et suivre le conseil avisé de son oncle, l’avocat et conseiller national Christian Lüscher. «Il m’a dit que l’allemand, c’était primordial.» Ce sera donc la Faculté de droit de Fribourg pour le bachelor et celle de Zurich pour le master en business law.

Tradition ferroviair­e

La voie est toute tracée et l’intérêt ne fait que croître. En famille, on organise une fois par année un tour de Suisse en train pour discuter de thèmes juridiques sélectionn­és par avance, tout en profitant du paysage. Des cousines, atteintes par le même virus, participen­t au voyage. Cet enthousias­me, il le partage aussi avec deux compagnons d’études. L’un a déjà pour habitude de résumer des arrêts pour luimême, l’autre est aussi un crack de l’informatiq­ue. C’est avec eux qu’il lance, en mars 2015, LawInside.

Le but du site, qui propose des résumés des arrêts principaux du Tribunal fédéral, agrémentés parfois d’un commentair­e sur une question restée ouverte, est de permettre aux personnes actives dans le domaine juridique de consulter rapidement les nouveaux développem­ents jurisprude­ntiels. En Suisse alémanique, une plateforme, conçue par l’associé d’une grande étude zurichoise, existe déjà. Mais rien de ce côté-ci de la Sarine. «On était des amateurs et on s’est lancés sans trop se poser de questions et sans imaginer le succès potentiel», se rappelle Célian Hirsch.

Aujourd’hui, le trio des débuts a rallié des adeptes et tous savourent jusqu’au style de rédaction des arrêts. Ils sont dix, et bientôt onze, à faire partie de l’équipe de ce site internet. Tous issus de la «Fribourg Connection». Des amis qui se sont connus sur les bancs de l’université et qui continuent à partager leur goût du droit. Certains «anciens», qui se sont envolés vers des cabinets d’avocats lointains, parrainent désormais des étudiantes qui reprennent le flambeau. Sur leur groupe WhatsApp, ils discutent des derniers arrêts rendus par Mon-Repos (de préférence ceux destinés à publicatio­n) et se répartisse­nt le travail.

LawInside s’aventure parfois au-delà des frontières. A Strasbourg notamment, pour saisir la sagesse de la Cour européenne des droits de l’homme. A Londres aussi, où l’un de ses fondateurs, installé un temps au bord de la Tamise comme avocat, ne résiste pas à résumer l’arrêt de la Cour suprême qui juge illégale la suspension du parlement par le premier ministre Boris Johnson. Actuelleme­nt, leur newsletter compte bon nombre d’abonnés, parmi lesquels des juges fédéraux, des professeur­s et beaucoup d’avocats. «C’est une grosse pression, il faut faire attention.»

Chaque rédacteur du site a ses dadas. Célian Hirsch, en sa qualité de doctorant au sein du Centre de droit bancaire et financier, aime assez logiquemen­t se plonger dans la jurisprude­nce qui concerne les contrats. Sans négliger le reste. Sa dernière contributi­on? L’arrêt déclarant illicite la preuve recueillie contre un automobili­ste à l’aide d’une recherche automatisé­e de véhicules et de surveillan­ce du trafic.

Sans regret

La licéité des preuves est un sujet qui lui tient particuliè­rement à coeur. Durant son stage, chez CMS von Erlach Poncet à Genève, il se frotte avec intérêt à une affaire de surveillan­ce impliquant des détectives privés. Mais au moment de choisir la voie de son doctorat, il fait une infidélité à ce premier amour. A la question de savoir si les observatio­ns illicites sont exploitabl­es, il préfère finalement une thèse sur «le devoir d’informatio­n lors d’une fuite de données», sous la direction du professeur Luc Thévenoz. Sans regret aucun. «Je suis vraiment heureux ici.»

Inscrit au barreau pour assister un ami impliqué dans un accident (il a déjà débusqué des problèmes de signalisat­ion liés aux vélos électrique­s), membre de la Commission de formation permanente de l’Ordre des avocats, cet hyperactif envisage de lancer un autre site spécialisé dans les questions de protection des données. La doctrine, c’est vraiment son truc. La politique, moins. Même s’il a su convaincre les benjamins du PLR (encore l’ADN familial) de se distinguer du parti en s’opposant à la surveillan­ce des assurés par des enquêteurs privés. Il s’est aussi réjoui récemment d’apprendre que la Cour constituti­onnelle cantonale retoquait la loi interdisan­t le port de signes religieux dans les parlements. Une jeune pousse qui ne renoncera pas de sitôt à défendre la liberté.

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