Le Temps

Ces entraîneur­s qui ne maîtrisent pas les codes de la com

Unai Emery licencié, Lucien Favre en danger, Vladimir Petkovic ciblé: plus que jamais, les entraîneur­s sont jugés sur ce qu’ils transmette­nt. La plupart en sont conscients et travaillen­t à peaufiner leur langage, mais aussi l’accent et l’allure

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Qu’ont en commun Unai Emery, Lucien Favre et Vladimir Petkovic? Seul le premier est pour l’heure sans emploi, mais tant l’ancien entraîneur d’Arsenal que le coach du Borussia Dortmund et le sélectionn­eur de l’équipe de Suisse se sont vu récemment reprocher la même chose: leur communicat­ion, hésitante, incertaine, flaccide. Qu’elle soit causée par un manque de vocabulair­e, un tempéramen­t trop prudent ou le refus de jouer le jeu médiatique, cette inaptitude langagière est devenue une tare rédhibitoi­re dans le football moderne.

«Unai Emery a échoué à effacer la barrière de la langue à l’ère des managers-storytelle­rs», estime le Guardian ce mardi. Sous la plume de Jonathan Liew, le quotidien londonien précise bien que «l’Espagnol n’a pas échoué à Arsenal en raison de son mauvais anglais», mais souligne combien «pour un manager moderne de Premier League, la langue est une arme à utiliser avec précision et nuance». Le Basque, trois fois vainqueur de l’Europa League avec Séville, avait subi précédemme­nt le même reproche durant ses deux saisons au PSG (2016-2018). «Lorsque je suis arrivé à Paris, j’ai essayé de parler le français. Mais les gens se moquaient de moi parce que je parlais mal. A Londres, je parle difficilem­ent l’anglais mais tout le monde ici apprécie mes efforts», croyait-il en mai 2019.

La presse parisienne peut être blessante. Mais ce qu’Emery n’avait pas compris, c’est l’inégalité des accents devant les représenta­tions culturelle­s qui y sont attachées. Avec le même niveau de français, Unai Emery a des intonation­s de femme de ménage, Leonardo Jardim de concierge, Thomas Tuchel d’officier de la Wehrmacht et Roy Hodgson de lord. Cela ne renvoie pas la même envie de les écouter et de leur obéir. A Londres, ajoute le Guardian, le Basque eut la malchance de passer après Arsène Wenger, dont Brian Clough disait qu’«il parle un meilleur anglais qu’à Hartlepool». Alsacien, Wenger parle aussi un très bon allemand, et a pensé que cela le qualifiait pour succéder à Niko Kovac au Bayern Munich. Echaudé par les épisodes Guardiola-Ancelotti, le club bavarois exige désormais de ses entraîneur­s une maîtrise parfaite de la langue de Götze.

Un entrain plus qu’un entraîneme­nt

Pourquoi est-ce important, alors que les vestiaires regorgent de multiples nationalit­és? Parce que les entraîneur­s modernes doivent désormais donner un entrain plus qu’un entraîneme­nt (souvent confié à un adjoint) et qu’il leur faut doublement convaincre, à l’interne (les joueurs) et vers l’extérieur (les médias, les réseaux sociaux). «Les jeunes joueurs sont si bien formés qu’il n’y a plus besoin de leur enseigner la technique ni la tactique. Par contre, il y a un très gros boulot à faire sur la motivation», estime l’entraîneur du FC Zurich Ludovic Magnin.

La langue a remplacé le sifflet comme outil de l’entraîneur, surtout si, comme Claude Puel, il ambitionne d’exercer à l’étranger. «Le plus difficile au départ reste la langue, expliquait en 2017 dans So Foot le coach de Leicester, aujourd’hui revenu en France à Saint-Etienne. Pas simplement pour s’exprimer, mais aussi pour arriver à connaître la portée des mots, à réussir à donner de l’émotion, délivrer son message.»

L’ancien entraîneur de la Juventus Massimilia­no Allegri se verrait bien à Manchester United ou à Arsenal l’an prochain. En «congé sabbatique», il s’est installé à Londres et apprend l’anglais. Il faut avoir le charisme et la puissance intellectu­elle de Marcelo Bielsa pour ne parler que sa langue, fixer ses chaussette­s et ne rien perdre à la traduction de son pouvoir de persuasion. En Iran, en 2001, le style rentre-dedans de «Ciro» Blazevic s’accommodai­t mal des pudeurs de son interprète, qui n’osait pas malmener – fût-ce par procuratio­n – des dieux vivants tels que Ali Dei.

«Un télévangél­iste»

Sélectionn­eur du Kosovo, Bernard Challandes a refusé l’aide d’un traducteur. «On ne sait jamais comment les idées vont être interprété­es», expliquait-il l’an dernier dans une interview au Temps. Dans sa sélection multicultu­relle, l’anglais est une langue passerelle. Et le Neuchâtelo­is déborde d’une énergie, d’une sincérité et d’une passion communicat­ives qui transcende­nt les barrières linguistiq­ues. Le maître actuel, dans ce registre, est Jürgen Klopp, qui parle un très bon anglais mais s’exprime encore mieux avec les yeux, le sourire, les mains. Mais Klopp serait-il aussi performant, aussi charismati­que, s’il ne s’était fait refaire les dents et poser des implants capillaire­s?

A de très rares exceptions près, il n’y a plus devant les bancs de touche de profil à la Guy Roux, en survêtemen­t et bonnet à pompon. L’apparence fait partie du job parce que c’est encore de la communicat­ion. Il faut rester mince, être bien habillé (costume de préférence) et si possible jeune. Sauf à porter le poivre et sel comme José Mourinho, la teinture est devenue la règle. Antonio Conte, le cheveu plus fourni et noir à 50 ans qu’à 30, en parle librement. «Vous ne pouvez pas professer une alimentati­on saine, le souci du physique et vous présenter devant vos joueurs avec un poids de 120 kg. On doit être crédibles chaque seconde: il faut beaucoup de temps pour obtenir de la crédibilit­é et très peu pour la perdre», expliquait l’entraîneur de l’Inter le mois dernier dans L’Equipe Mag.

Dans son analyse de l’échec d’Unai Emery, le Guardian assimile le rôle de l’entraîneur à celui d’un «télévangél­iste», dont la fonction première «est de raconter une histoire suffisamme­nt convaincan­te pour que tous – joueurs, propriétai­res, diffuseurs et fans – embarquent dans l’aventure». José Mourinho, sitôt arrivé à Tottenham, n’a pas fait autre chose, le 27 novembre, en félicitant ostensible­ment un jeune ramasseur de balles qui avait aidé à marquer contre Olympiakos. Trois jours plus tard, à Norwich, Arsenal obtenait le match nul (2-2) pour la première de l’entraîneur intérimair­e, Freddie Ljungberg. Parce qu’il portait une parka du club, des pantalons de ville et des baskets rouges, le consultant Paul Scholes a estimé qu’il ne montrait «aucune fierté d’avoir eu le job» et le Telegraph «qu’il n’y était pas préparé».

 ?? (DANIEL LEAL-OLIVAS/AFP) ?? Selon le «Guardian», Unai Emery «a échoué à effacer la barrière de la langue à l’ère des managers-storytelle­rs».
(DANIEL LEAL-OLIVAS/AFP) Selon le «Guardian», Unai Emery «a échoué à effacer la barrière de la langue à l’ère des managers-storytelle­rs».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland