Le Temps

Reverdir le Sahara, le rêve africain d’un ingénieur à la retraite

L’ingénieur à la retraite appelle à la mobilisati­on pour végétalise­r le plus vaste désert du monde. Rien ne prédestina­it pourtant cet atypique à ce grand dessein africain

- SIMON PETITE t @SimonPetit­e

«Il y a là de gigantesqu­es espaces à végétalise­r, non seulement pour capter le carbone et freiner le réchauffem­ent climatique, mais aussi pour ralentir l’exode rural»

Jean-Edouard Buchter pourrait tranquille­ment cultiver son jardin près du lac de Neuchâtel. Mais depuis une visite à son fils alors établi au Burkina Faso, il est habité par une vision: «Quand j’ai survolé le désert mauritanie­n et ses immensités inutilisée­s, j’ai imaginé une nouvelle société», raconte cet ingénieur iconoclast­e qui a pris sa retraite il y a dix ans.

Depuis, il s’est mis en tête de reverdir le Sahara. C’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage paru cet automne. A peine avait-il envoyé son manuscrit qu’il recevait un coup de fil de l’éditeur vaudois Pierre-Marcel Favre, un autre passionné d’Afrique, relate l’auteur novice, encore surpris. JeanEdouar­d Buchter planche sur son bouquin depuis des années. Sa prise de conscience écologique a été graduelle. Il se souvient d’avoir suivi les négociatio­ns climatique­s en 2015 et s’être lamenté sur l’impuissanc­e des Etats.

«Le plus grand désert du monde concentre les défis de l’humanité mais il peut faire partie de la solution, veut croire Jean-Edouard Buchter. Il y a là de gigantesqu­es espaces à végétalise­r, non seulement pour capter le carbone et freiner le réchauffem­ent climatique, mais aussi pour ralentir l’exode rural. Cela diminuera les migrations vers l’Europe.» Utopie? Le paisible septuagéna­ire assume le terme et il n’est pas le seul adepte.

Exemple sénégalais

Une fondation vient de se constituer en Suisse. A la manoeuvre, on retrouve Pierre-Marcel Favre, qui a embrigadé l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin et l’héritier de la Fondation Sandoz, Pierre Landolt. Jean-Edouard Buchter emmènera plusieurs membres de la fondation au Sénégal en début d’année prochaine. «C’est le pays qui a le plus avancé sur la grande muraille verte. Là-bas, on constate un mouvement de retour à la campagne», s’enthousias­me-t-il.

Le projet de cette grande muraille verte a émergé au début des années 2000 pour lutter contre la désertific­ation. Il prévoit un bande de 15 kilomètres de long allant traversant sur près de 8000 kilomètres tout le Sahel, de Dakar à Djibouti. Ces grands desseins se heurtent à l’insécurité grandissan­te dans la région. «C’est la responsabi­lité des Africains, mais les Européens ne peuvent les laisser seuls», plaide Jean-Edouard Buchter. Sur le plan sécuritair­e, la France, qui vient de perdre 13 soldats au Mali contre les djihadiste­s, est trop isolée, juge-t-il.

L’ingénieur voit même plus ambitieux et appelle à passer de la défensive à l’offensive contre le réchauffem­ent climatique. Son Sahara utopique pourrait non seulement garder ses habitants actuels, mais devenir une terre d’immigratio­n. De grands projets, mais écologique­s et en concertati­on avec les population­s.

«L’agricultur­e intensive n’est pas la solution. Il faut créer des emplois», égrène Jean-Edouard Buchter. Il a séjourné dans le Centre écologique AlbertSchw­eitzer, à Ouagadougo­u, et il s’est aussi inspiré dans la vallée du Drâa, dans le sud du Maroc. Son modèle est un agronome tessinois, Lindo Grandi, installé au Burkina Faso. Le Suisse a remis au goût du jour une technique de culture ancestrale à la charrue. Il prône la collaborat­ion avec les éleveurs, dont les troupeaux fertilisen­t les champs. A écouter Jean-Edouard Buchter, l’eau n’est pas si rare au Sahara. Elle arrose les massifs du Tibesti, du Hoggar ou de l’Atlas et de grands fleuves sillonnent le Sahel. Il faudrait toutefois mieux utiliser l’or bleu pour que le désert renoue avec son lointain passé verdoyant.

Mais la jeunesse africaine estelle vraiment tentée par un retour à la terre? «C’est mieux que de s’entasser dans des bidonville­s», tranche-t-il. «J’ai toujours fait les choses autrement», continue cet anticonfor­miste revendiqué. Il ne sait trop dire d’où lui vient ce trait de caractère. Mais, gamin, il se rappelle qu’il avait bricolé un radeau, manquant de se noyer.

Tantôt très à gauche, tantôt à droite

Après des études à l’Ecole polytechni­que de Zurich, il est engagé dans l’entreprise ferroviair­e Matisa. Puis il embrasse la carrière d’enseignant. Il est fier d’être toujours resté un généralist­e et se méfie des solutions technologi­ques. Au début des années 2000, il contribue à la création du gymnase intercanto­nal de la Broye. Ce projet d’établissem­ent secondaire par-delà les frontières administra­tives, il ne l’aurait jamais mené à bien s’il avait fait de la politique. «L’autre bord aurait torpillé l’affaire», pense l’ancien professeur, qui n’est pas pour autant apolitique, votant tantôt très à gauche, tantôt à droite.

Dans la Suisse de 2019, l’inclassabl­e retraité se réjouit des jeunes qui marchent pour le climat et changent effectivem­ent leur mode de vie. Drôle de convergenc­e entre la jeunesse et les seniors alors que les actifs sont plutôt absents des mobilisati­ons. «Les personnes en pleine vie profession­nelle sont souvent la tête dans le guidon», avance JeanEdouar­d Buchter. Avec sa «maturité» et sa «vie derrière soi», il est persuadé d’avoir des solutions à offrir. «Il est urgent d’ouvrir aux jeunes des voies et des possibilit­és d’action qui ne soient pas des alibis ou des fuites en avant. Verdir le Sahara en est une.»

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