Le Temps

Comment les trous noirs font naître les étoiles

- HUGO RUHER

ASTROPHYSI­QUE Des astronomes ont observé un trou noir qui donnerait d’après eux naissance à des étoiles dans des galaxies pourtant très éloignées. De quoi revoir – un peu – l’image de ces monstres qui ne font pas que tout dévorer, mais peuvent aussi créer

Dans l’imaginaire, les trous noirs sont des aspirateur­s cosmiques qui dévorent tout, ou presque. Pourtant, c’est bien de leur obscurité que naît parfois la lumière puisque certains, au contraire, semblent déclencher la formation de nouvelles étoiles. Qui plus est à une distance phénoménal­e d’un million d’années-lumière, suggérant une emprise de très longue portée, comme le proposent des astrophysi­ciens italiens de l’Institut national d’astrophysi­que à Bologne dans le numéro de décembre du journal Astronomy and Astrophysi­cs.

«Nous pensions que c’était possible, maintenant nous en avons la preuve, s’enthousias­me Roberto Gilli, l’auteur principal de l’étude. Nous avons pu voir comment un trou noir s’y prend pour favoriser la formation stellaire, même à de très grandes distances.»

Tel un tourbillon infernal, un trou noir aspire la matière environnan­te. Mais il en recrache aussi une petite partie. «C’est comme nourrir un bébé, illustre Roberto Gilli. Pour chaque cuillère avalée, vous en avez autant (voire plus) qui ressort!» Comme les bébés, les trous noirs recrachent un peu de leur purée. Le plus souvent dans toutes les directions, de manière diffuse, mais parfois aussi bien droit devant eux. Les astrophysi­ciens appellent le faisceau un «jet», créé dans le cas de trous noirs supermassi­fs.

Onde de choc

Les jets sont peu communs. L’équipe italienne a pu toutefois en observer un, à environ 10 milliards d’années-lumière de la Terre. Remontant jusqu’au trou noir à sa source, qu’ils ont observé avec le télescope spatial Chandra, ils ont constaté la présence d’importants nuages de rayons X, autour du trou noir mais aussi à l’autre extrémité du jet.

Les rayons X sont coutumiers des trous noirs: ils sont produits lorsque celui-ci se nourrit de la matière environnan­te. Mais en voir à l’autre bout du jet, à environ une année-lumière, a en revanche intrigué les scientifiq­ues: quelle est la source d’une telle énergie?

Comme la purée de bébé qui termine à des endroits incongrus, le jet de matière aurait fini par pénétrer au coeur d’une bulle de gaz, avancent les physiciens. Sous l’effet de la chaleur des particules du jet, qui voyagent à une vitesse proche de celle de la lumière, le gaz aurait acquis de l’énergie, ce qui se manifeste par ces rayons X observés par Chandra. Au fur et à mesure, la bulle de gaz aurait grandi et atteint les galaxies voisines, créant une gigantesqu­e onde de choc qui aurait comprimé les gaz froids présents à l’intérieur de ces galaxies, lançant un processus de formation d’étoiles au sein de celles-ci.

Roberto Gilli et son équipe ont observé quatre galaxies situées à peu près à égale distance du centre de la bulle de gaz, dans sa périphérie. Sous l’effet des gaz chauffés par le jet du trou noir, ces galaxies se seraient mises à produire des étoiles à un rythme effréné, de deux à cinq fois plus d’étoiles que ce qui est habituelle­ment observé dans ce type de galaxies.

Mais rien ne prouve que le trou noir maintienne son emprise à une telle distance. «Il est plus probable qu’il s’agisse d’un état transitoir­e, tempère Stéphane Paltani, astronome à l’Université de Genève, une période d’un ou deux millions d’années le temps du passage du jet.»

L’étude amène à reconsidér­er l’image des trous noirs, qui seraient donc, si la découverte était confirmée, capables de féconder plusieurs galaxies à la fois, et ce à des distances très éloignées. Pour Stéphane Paltani, même si elle n’apporte pas toutes les réponses sur les liens entre trous noirs et formation stellaire, elle pose des éléments pour répondre à deux questions fondamenta­les: «Qu’est-ce qui stoppe la naissance d’étoiles dans une galaxie? Et qu’est-ce que cela change pour une galaxie d’avoir un trou noir en son centre?»

Des questions qui auront peutêtre une réponse avec les prochaines observatio­ns de l’équipe de Roberto Gilli en 2020. Cette découverte a demandé six jours d’observatio­n, mais ils vont de nouveau mobiliser Chandra un peu plus longuement, et étudier un autre amas de galaxies: MRC 1138-262, surnommée la Toile d’Araignée. Ils espèrent y découvrir un nouveau trou noir supermassi­f possibleme­nt créateur d’étoiles.

Ce trou noir semble féconder des galaxies pourtant éloignées

 ?? (NASA/CXC/INAF/R. GILLI ET AL.) ?? Le jet (en violet) issu du trou noir aurait procuré l’énergie nécessaire à la production d’étoiles à une année-lumière de distance.
(NASA/CXC/INAF/R. GILLI ET AL.) Le jet (en violet) issu du trou noir aurait procuré l’énergie nécessaire à la production d’étoiles à une année-lumière de distance.

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