Le Temps

Attaques de fourgons: Vaud dégaine

Après la troisième attaque d’un convoi de fonds sur son territoire en six mois ce lundi, l’exécutif cantonal vaudois annonce un plan de mesures d’urgence. Il pourrait changer les habitudes citoyennes en matière d’argent liquide

- BORIS BUSSLINGER, BERNE @BorisBussl­inger

Le canton de Vaud est devenu un eldorado pour ceux qui attaquent les convois de fonds. Ce lundi soir, pour la sixième fois en deux ans – la troisième fois cette année –, des malfrats ont pris d’assaut un fourgon légèrement blindé à Daillens, au nord de Lausanne, avant de prendre la fuite avec son contenu. Après plusieurs mois de bras de fer entre le Conseil fédéral et les autorités vaudoises sur les mesures à adopter pour enrayer le phénomène, le canton a décidé de prendre les devants.

L’histoire sans fin

Alentours du village de Daillens, ce lundi, 19h40: sur une route située à cinquante mètres des habitation­s les plus proches, une bande organisée fait barrage à un véhicule de SecurePost au moyen d’une voiture et d’une fourgonnet­te. Les malfrats font sortir les conducteur­s sous la menace des armes, puis dynamitent le véhicule pour accéder au magot. Une vidéo amateur tournée sur les lieux donne à voir plusieurs hommes charger des caisses dans une quatrième voiture. Celle-ci leur permettra de prendre la fuite après avoir incendié les véhicules restés sur place.

Après mai 2017 à Nyon, février 2018 à Chavornay, avril 2018 et juin 2019 au Mont-sur-Lausanne et août dernier à La Sarraz, c’est le sixième assaut de ce type. Avec toujours le même modus operandi: barrage routier, menaces à la kalachniko­v, détonation pour percer le blindage, destructio­n des véhicules par le feu et débandade direction la France. Les coupables? Le crime organisé lyonnais. Des failles sécuritair­es du côté suisse? Certaineme­nt. Ce dernier épisode ouvre toutefois de nouvelles interrogat­ions quant à la réponse à y apporter. Pourquoi? Il n’a pas eu lieu entre 22 heures et 5 heures du matin.

L’horaire est important pour la raison suivante: à cause du bruit, les véhicules de plus de 3,5 tonnes sont interdits sur les routes suisses durant cette plage horaire (exception faite aux «denrées alimentair­es périssable­s» et aux «fleurs coupées»). Or, jusque-là, le canton de Vaud avait toujours souligné l’absurdité de la loi et argumenté qu’autoriser les véhicules blindés «lourds» – entre 14 et 16 tonnes – à transporte­r des fonds pendant la nuit représente­rait la clé principale de résolution du problème. Une motion en ce sens a également été déposée en mai dernier au parlement fédéral par Olivier Feller (PLR/VD) – et été refusée tout sec par le gouverneme­nt. Lundi soir, l’heure du larcin montre que la demande du conseiller national ne

«Il en va désormais de l’intégrité physique de nos conducteur­s. Jusque-là nous avons eu de la chance, personne n’est décédé.

Mais c’est très déstabilis­ant»

LUC SERGY, DIRECTEUR DE L’ASSOCIATIO­N SUISSE DES SERVICES DE SÉCURITÉ

pourra pas à elle toute seule enrayer l’épidémie. Les braqueurs se sentent désormais chez eux en terres vaudoises, il faut trouver de nouvelles solutions.

C’est ce à quoi s’est attelée ce lundi Béatrice Métraux, ministre vaudoise chargée de la Sécurité. Son départemen­t a tout d’abord annoncé «le renforceme­nt de la présence policière sur le terrain et aux frontières». Ensuite, la cheffe de départemen­t a notifié qu’elle soumettrai­t ce mardi un plan de mesures d’urgence au Conseil d’Etat. Celui-ci proposera les dispositio­ns suivantes: «Que les véhicules de transport de fonds s’équipent d’un dispositif de destructio­n du chargement en cas d’attaque, que les montants transporté­s soient limités et que les entreprise­s concernées utilisent uniquement des véhicules lourds blindés.» Cela proscrira-t-il le transport d’argent de nuit? «C’est l’une des propositio­ns que pourra faire Béatrice Métraux ce mardi», répond son service de presse.

Le cash ou la vie

Cette suggestion ne rencontrer­a pas de résistance du côté des sociétés de convoyeurs de fonds. Qui l’appellent même de leurs voeux: «Nous préférerio­ns clairement ne pas rouler la nuit, salue Luc Sergy, directeur de l’Associatio­n suisse des services de sécurité. Il en va désormais de l’intégrité physique de nos conducteur­s. Jusque-là nous avons eu de la chance, personne n’est décédé. Mais c’est très déstabilis­ant. L’économie doit se remettre en cause.» L’économie? Oui. Car en fait pourquoi doit-on absolument transporte­r de l’argent dans l’obscurité? Parce que la Suisse aime le cash. Interdits dans nombre de pays européens – dont la France, d’où proviennen­t les malfrats opérants en pays de Vaud – les convois nocturnes continuent de parcourir les routes suisses car les citoyens affectionn­ent le liquide.

En 2018, un rapport de la BNS indiquait que 70% des transactio­ns dans le pays étaient encore faites de la main à la main. «Et avec ces volumes, indique Luc Sergy, rouler la nuit est un impératif. Sinon il est impossible d’approvisio­nner les bancomats à temps.» Les gangs lyonnais auront-ils raison des habitudes vaudoises? Opposant à une limitation de l’accès des citoyens à l’argent liquide, Olivier Feller reconnaît lui-même qu’il est temps de prendre des mesures à «divers échelons»: «Et si les consommate­urs sont d’accord d’être confrontés à des postes de retrait vides, concède ce défenseur de l’économie, c’est évidemment envisageab­le.» A vos cartes?

 ?? (LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) ?? Trois véhicules calcinés à la sortie du village de Daillens, après l’attaque d’un fourgon de transport de fonds le lundi 2 décembre.
(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) Trois véhicules calcinés à la sortie du village de Daillens, après l’attaque d’un fourgon de transport de fonds le lundi 2 décembre.

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