Le Temps

Les tourments d’une richissime famille belge

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Le Ministère public a requis une peine de 4 ans de prison contre l’avocate de la vicomtesse Amicie Bailo de Spoelberch pour avoir blanchi le butin issu d’une manipulati­on machiavéli­que de ses clients fortunés

«Un jour, elle est venue à la maison avec sept valises pleines de dossiers et m’a demandé de tout contresign­er. Je l’ai fait. Je n’y comprenais rien et je lui faisais une confiance aveugle.» Au procès de Genève, Patrice Bailo de Spoelberch, héritier d’une des familles les plus fortunées de Belgique, explique que son ancienne avocate a profité de cet état de déchéance pour s’emparer d’un immense paquet d’actions au porteur. Une version totalement contestée par la prévenue qui dépeint le plaignant – et son frère Alexis – comme des clients particuliè­rement ingrats. L’occasion pour le tribunal de plonger dans l’histoire tourmentée de ces fils de milliardai­res et de faire monter la tension en audience.

Dans la bouche du plaignant, sa dérive a commencé avec le décès de son père. Ce dernier, Luka Bailo, avait la réputation d’être un flambeur de casino. Après plusieurs années de vie commune, il avait épousé, en 2001, la richissime vicomtesse Amicie de Spoelberch, de quinze ans son aînée, et déjà âgée de 80 ans. Cette dernière avait fini par adopter ses deux fils, Patrice et Alexis, nés d’un premier lit. Contre toute attente et pour compliquer la succession, Luka Bailo est mort avant son épouse. C’était en 2004. Le couple était alors établi au Luxembourg et leur avocate, Fara pour les intimes, s’occupait de la «structurat­ion du patrimoine».

«Vie parallèle»

Pour les deux fils, alors âgés d’une vingtaine d’années, cette disparitio­n a eu un effet dévastateu­r. Déjà portés sur les fêtes, l’alcool et la drogue, ils ont perdu pied. Aux juges, Patrice Bailo de Spoelberch décrit ainsi sa dérive: «Je prenais trois grammes de cocaïne par jour, je buvais aussi trois bouteilles de rhum pour la faire descendre et je prenais encore des cachets pour pouvoir dormir. On vivait en parallèle.» Et d’ajouter qu’il est totalement «clean» depuis cinq ans, qu’il a monté une entreprise et s’adonne à la philanthro­pie en Serbie, le pays d’origine de son père. Quant à son frère, absent au procès, il irait de plus en plus mal.

Le plaignant pense que Fara connaissai­t parfaiteme­nt cet état de confusion. Il se rappelle aussi que l’avocate lui avait alors affirmé que tous «les services rendus» avaient déjà été réglés par son défunt père. La prévenue soutient au contraire que les fameux titres Interbrew, dont elle dit avoir pris possession le 15 décembre 2004 à son étude, étaient destinés à payer les honoraires promis par le couple pour la structure du Luxembourg. La prévenue relativise par ailleurs la faiblesse des deux frères à ce moment. «L’argent a dû les changer.»

«Une jolie fable»

La saga familiale ne s’est pas arrêtée là. Après la mort de leur père, en conflit avec leur mère avant son décès en 2008, menacés d’être déshérités, les deux frères se sont adressés à Fara pour la sauvegarde de leurs intérêts. «J’ai aussi un fils adoptif, ils ont joué cette corde sensible. J’ai trouvé que la cause était juste», relève la prévenue pour expliquer ce nouveau mandat. Une juste cause qui aurait dû lui rapporter, assure-t-elle, 10% de l’héritage récupéré, soit environ 65 millions d’euros. Pas du tout, rétorque Patrice Bailo de Spoelberch, qui a refusé de payer cette ultime facture et qui estime que les quelque 10000 livres sterling mensuelles versées à l’époque suffisent largement. Des versions irréconcil­iables, comme tout le reste.

La prévenue, dépeinte par un témoin comme «une femme opiniâtre et intelligen­te, un mélange d’extrême sollicitud­e et de grande énergie», a-t-elle mis toute cette force au service du mal en dépouillan­t une vieille vicomtesse et ses héritiers fragilisés, puis en dissimulan­t le butin dans des banques de la place? C’est assurément la thèse du Ministère public. «Ces gamins se sont retrouvés à la tête de 2 milliards d’euros», rappelle le procureur Niki Casonato avant de décrire la descente aux enfers qui a privé ces héritiers de leur capacité de discerneme­nt et a ouvert la voie aux «manipulati­ons» de la prévenue. «Il ne faut pas croire à la jolie fable qu’elle raconte», conclut l’accusation en réclamant une peine de 4 ans de prison et beaucoup de confiscati­ons. Les plaidoirie­s se poursuiven­t mercredi.

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