Le Temps

Organisati­on criminelle: le TF limite le champ d’applicatio­n de cette norme

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Le Tribunal fédéral a publié le 3 décembre 2019 un arrêt rejetant largement le recours déposé par le Ministère public de la Confédérat­ion (MPC) à l’encontre du jugement rendu par le Tribunal pénal fédéral le 14 juin 2018, acquittant 12 personnes soupçonnée­s de soutenir et/ou de participer à l’organisati­on Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE). Selon notre haute cour, le LTTE n’est pas une organisati­on criminelle au sens de l’art. 260ter du Code pénal. C’est une première: la plus haute juridictio­n de notre pays a rarement eu l’occasion de déterminer, dans le cadre d’une procédure pénale ouverte en Suisse, si une structure de type «mouvement de libération» pouvait être assimilée à une organisati­on criminelle ou terroriste sous l’angle du droit suisse. Cet arrêt limite fortement l’applicatio­n de cette norme et donnera à n’en pas douter des arguments supplément­aires au MPC, qui souhaite vivement la modificati­on de la dispositio­n légale incriminan­t les organisati­ons criminelle­s.

Fondé en 1976, le LTTE s’est imposé dans la lutte du peuple tamoul pour ses droits, animé par une idéologie politique et sociale. Afin d’assurer son financemen­t, le LTTE avait développé des branches internatio­nales, avec comme mission de diffuser sa doctrine au sein de la communauté tamoule et d’organiser des collectes de fonds. De cette stratégie a été créée l’associatio­n de droit suisse, le World Tamil Coordinati­ng Committee (WTCC). Le LTTE avait bel et bien commis diverses attaques de nature terroriste, dirigées notamment contre des cibles civiles, à côté de la lutte armée convention­nelle menée contre le gouverneme­nt sri-lankais, précisent les juges de Mon-Repos. Tout l’enjeu de cet arrêt est donc de savoir si un mouvement qui a perpétré des attaques terroriste­s à côté de cette lutte doit être qualifié d’organisati­on criminelle aux termes de l’art. 260 CP.

Il a toujours été délicat de distinguer entre des actes terroriste­s et des actions violentes «politiquem­ent légitimes». Notre haute cour avait retenu qu’étaient des groupement­s ou des associatio­ns terroriste­s le groupement islamiste des Martyrs pour le Maroc, le mouvement extrémiste albanais ANA, qui a succédé à l’UÇK, les Brigades rouges italiennes, l’ETA basque ou encore le réseau internatio­nal Al-Qaida. Cependant, le caractère terroriste de ces groupement­s n’avait été examiné que prima facie dans le cadre de décisions relatives à l’entraide pénale.

Le Tribunal fédéral concède qu’il est «malaisé» de prévoir si un mouvement, ayant notamment commis des actes terroriste­s, devait être qualifié d’organisati­on criminelle. Cette incertitud­e est rédhibitoi­re pour considérer le LTTE comme une organisati­on criminelle. D’une part, le LTTE a bénéficié d’une certaine sympathie auprès de la communauté internatio­nale et des autorités suisses: des entretiens entre le Départemen­t fédéral des affaires étrangères et des représenta­nts du LTTE ont notamment eu lieu à Berne. Il en est notamment ressorti que les Tigres tamouls avaient une «large responsabi­lité en ce qui concerne le renforceme­nt des droits de l’homme et l’instaurati­on d’une société pluraliste dans le nord et l’est du Sri Lanka».

D’autre part, la formulatio­n et l’interpréta­tion de l’art. 260ter CP sont problémati­ques. Afin que cette norme puisse s’appliquer aux groupement­s terroriste­s, l’activité essentiell­e – sinon exclusive – de ces structures doit reposer sur la commission d’actes de violence criminels, comme Al-Qaida ou l’Etat islamique. En revanche, lorsque le mouvement mène une lutte armée convention­nelle tout en se livrant à des actes terroriste­s, l’art. 260ter CP est inapplicab­le. En cela, cet arrêt est d’une importance capitale pour la lutte contre le terrorisme en Suisse.

Le LTTE avait comme but principal la lutte politique et militaire. Il ne cherchait pas à commettre des actes de violence criminels; les actes terroriste­s n’étaient qu’un but secondaire. Par conséquent, la poursuite des 12 prévenus, qui s’adonnaient principale­ment à la collecte de fonds et de matériel en faveur des Tigres tamouls, est contraire à l’adage «nulla poena sine lege», soit l’interdicti­on de poursuivre pénalement une personne en raison d’un comporteme­nt qui n’est pas visé par la loi (principe de la légalité).

La conclusion à laquelle parvient le Tribunal fédéral doit être saluée, tant l’art. 260ter CP est imprécis et impropre à incriminer les mouvements de libération. La genèse de cette dispositio­n concernait principale­ment les groupement­s de type mafieux et le crime organisé. Un projet de modificati­on de cette dispositio­n, sous l’impulsion notamment du MPC, est actuelleme­nt en discussion aux Chambres fédérales visant précisémen­t l’incriminat­ion des organisati­ons criminelle­s et terroriste­s. Il ne fait aucun doute que le présent arrêt alimentera les discussion­s devant le parlement fédéral.

Lorsque le mouvement mène une lutte armée convention­nelle tout en se livrant à des actes terroriste­s, l’art. 260ter CP est inapplicab­le

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AVOCAT, ASSOCIÉ, RESOLUTION LEGAL PARTNERS DANIEL TRAJILOVIC
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PASCAL DE PREUX AVOCAT, ASSOCIÉ, RESOLUTION LEGAL PARTNERS DANIEL TRAJILOVIC AVOCAT, ASSOCIÉ, RESOLUTION LEGAL PARTNERS
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