Le Temps

Marseille, sur le versant sombre

- ADN

Dans «Gloria Mundi», Robert Guédiguian tourne le dos au bleu de la mer pour ausculter le quotidien d’une famille confrontée à la violence sociale contempora­ine

La naissance de Gloria met tout le monde en joie: ses parents, Mathilda (Anaïs Demoustier) et Nicolas (Robinson Stévenin), ses grands-parents, Sylvie (Ariane Ascaride) et Richard (JeanPierre Darroussin), et même sa tante Aurore (Lola Naymark) et son copain Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet). Champagne! Hélas! en guise de marraines, ce sont de bien tristes ombres qui se penchent sur le berceau de l’enfant: précarité, inégalité, aliénation…

Robert Guédiguian a réuni sa troupe de fidèles comédiens pour écrire un nouveau chapitre de la dignité humaine bafouée. Vingt-deux ans après Marius et Jeannette, cette ode à la fraternité qui l’a fait connaître, le cinéaste marseillai­s continue, film après film (Mon Père est ingénieur, Lady Jane, ou encore Les Neiges du Kilimandja­ro…), à dénoncer les méfaits du capitalism­e et à défendre l’idée d’un monde davantage égalitaire. Juste reflet de son époque, Gloria Mundi s’avère particuliè­rement sombre.

Les personnage­s sont épuisés. Sylvie n’a plus l’énergie ou le courage de faire grève; employée par une entreprise de nettoyage, elle travaille de nuit et croise Richard le matin, quand il part conduire son bus. Nicolas a emprunté de l’argent pour se payer une limousine: devenu son propre entreprene­ur, il est chauffeur Uber – jusqu’au jour où il se fait tabasser par des taxis profession­nels ne goûtant guère la concurrenc­e déloyale. Mathilda, quant à elle, fait des stages dans des boutiques de vêtements ne débouchant jamais sur un contrat d’engagement…

Revoir le soleil

Les seuls à ne pas tirer le diable par la queue, ce sont Aurore et Bruno qui gèrent leur petite entreprise d’articles de seconde main. Mais, pourris par la doxa entreprene­uriale, ils sont sans scrupules ni morale. Les filles avaient de chouettes parents, mais elles sont abîmées: Aurore est une garce, Mathilda est pleine de colère et d’aigreur.

Autour de ces misérables, la ville croît. Loin de l’Estaque et de ses guinguette­s anisées, Marseille ressemble à n’importe quelle mégapole: triste, bétonnée, déshumanis­ée. La sardine ne bouche plus le port, mais l’avenir.

Un ange à la triste figure éclaire temporaire­ment le no future: Daniel (Gérard Meylan), le premier mari d’Ariane, le père de Mathilda. Au cours d’une bagarre, il a jadis tué un homme. Sur conseil de Richard, Ariane a envoyé une photo de Gloria au grand-père. Lorsqu’il sort de prison, il vient voir la petite.

Cet homme taciturne, blessé, écrit des haïkus, s’émerveille de revoir le soleil et de nager dans la mer, de promener sa petitefill­e. L’amitié vespérale qu’il parvient à nouer avec Richard permet de croire encore au genre humain. Avec Daniel, un peu de fraternité revient. L’égalité et la liberté, elles, attendront encore. ▅

VVV Gloria Mundi, de Robert Guédiguian (France, 2019), avec Ariane Ascaride, Anaïs Demoustier, JeanPierre Darroussin, Gérard Meylan, 1h47.

Le cinéaste marseillai­s continue, film après film, à dénoncer les méfaits du capitalism­e et à défendre l’idée d’un monde plus égalitaire

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland