Le Temps

Yémen, reflets de l’Arabie heureuse

La photograph­e suisse Monique Jacot a sillonné le Yémen à de nombreuses reprises dans les années 1980. Quarante ans plus tard, quelques-unes de ses perles retrouvent la lumière

- LUIS LEMA @luislema

La photograph­e neuchâtelo­ise Monique Jacot a sillonné le Yémen à de nombreuses reprises dans les années 1980. Quarante ans plus tard, quelquesun­es de ses perles retrouvent la lumière. Des tirages uniques obtenus par transfert de polaroïds sur papier Arches à la cuve, à découvrir à Lausanne.

Sept fois? Huit fois? Monique Jacot a perdu le compte de ses voyages au Yémen. Mais une chose est sûre: lorsque l’avion se mettait à manoeuvrer pour trouver la piste à 2300 mètres d’altitude, en voyant s’approcher par le hublot le paysage de sable et de rocailles, c’était le même sentiment qui dominait. «C’est un peu inexplicab­le, mais je me sentais revenir à la maison», racontet-elle. En Suisse, Monique Jacot va surtout connaître la notoriété pour ses travaux consacrés à la condition des femmes, à leur quotidien et à leurs mouvements de protestati­on. Mais en attendant, à Sanaa, la capitale yéménite, la voyageuse neuchâtelo­ise a déjà ses habitudes, à peine l’avion posé: «Le personnel de l’hôtel était aux petits soins avec moi. Au fil des années, j’étais devenue leur petite protégée.»

Nous sommes alors au début des années 1980, et les femmes photojourn­alistes – de celles qui parcourent la planète et qui vendent leurs reportages à des magazines internatio­naux – ne sont pas légion en Suisse, c’est le moins qu’on puisse dire. Monique Jacot est déjà une photograph­e confirmée, lauréate du Prix fédéral des arts appliqués, multiplian­t les publicatio­ns dans les journaux, alignant les missions pour l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), et familière de surcroît du monde arabe. Mais le Yémen, c’est encore une autre paire de manches. Le pays reste l’un des plus fermés et inaccessib­les de la planète, verrouillé par ses dirigeants pour ne pas en gâter les traditions et l’authentici­té, mais surtout pour mieux en garder le contrôle. Le simple fait d’obtenir un visa tient de l’aventure: le Yémen n’a pas même d’ambassade en Suisse, et il faut passer par l’Allemagne.

Ainsi, cette Arabie heureuse, comme on appelle le Yémen depuis la Rome antique, est-elle surtout en grande partie une terra incognita. Pour trouver son chemin dans ce pays hermétique, Monique Jacot se procure une carte géographiq­ue élaborée en… Suisse. Puis, cet incomparab­le atout en main, elle leurre les gardes, part à l’assaut des cols infranchis­sables, s’égare dans tel village niché dans les montagnes, retrouve – pour un magazine allemand – les ruines de la plus ancienne mosquée du pays, dans les environs de la ville de Taëz.

A l’époque, le bruit de la guerre, déjà, n’est pas loin dans ce pays qui, aujourd’hui, est dévasté comme jamais par un terrible conflit. «Tout le monde avait sa kalachniko­v à la main», sourit la photograph­e. Mais ce n’est pas ce qui l’intéresse au premier chef. Engagée, curieuse, humaniste, elle aime répéter la mission qu’elle entend donner à ses clichés: «Je m’efforce, dit-elle, de montrer les autres tels qu’ils sont.»

Monique Jacot aime les gens et les scènes qu’elle photograph­ie. Mais à cette empathie évidente que montrent ses «fresques yéménites», exposées à la Bibliothèq­ue de Lausanne (BCUL)*, s’ajoute aussi une technique de développem­ent qui les rend, littéralem­ent, exceptionn­elles. Elle va ainsi expériment­er les «transferts» de polaroïds, par un contact direct entre les négatifs et du papier à dessin en coton d’Arches. Des tirages uniques que la matière, la texture et les teintes finissent de faire apparaître pratiqueme­nt comme des miniatures peintes.

Il aura fallu un concours de circonstan­ces, la présence de Virginie Jaton, éditrice aux Editions Couleurs d’encre (et collaborat­rice du Temps), puis l’intérêt de la Réserve précieuse de la BCUL, pour offrir enfin à ces petits bijoux l’écrin qu’ils attendaien­t depuis près de quarante ans. ▅

Munie d’une carte géographiq­ue élaborée en… Suisse, elle leurre les gardes, part à l’assaut des cols infranchis­sables, s’égare dans les villages nichés dans les montagnes

*«Fresques yéménites», Palais de Rumine, Lausanne, exposition à voir jusqu’au 1er mars 2020. En collaborat­ion avec «Le Temps», une soirée de rencontre avec Monique Jacot a lieu ce jeudi 5 décembre, à 19h. (Complet)

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Dans les années 1980, le Yémen est encore un pays très fermé, difficilem­ent accessible et Monique Jacot est l’une des premières photojourn­alistes à sillonner l’Arabie heureuse.
(MONIQUE JACOT, ÉDITIONS COULEURS D’ENCRE, RÉSERVE PRÉCIEUSE/BCUL) Scènes de la vie quotidienn­e en «terra incognita». Dans les années 1980, le Yémen est encore un pays très fermé, difficilem­ent accessible et Monique Jacot est l’une des premières photojourn­alistes à sillonner l’Arabie heureuse.
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