Le Temps

Le pétrole de schiste américain tousse

- LAURENT HORVATH

Pour la première fois depuis 1940, les EtatsUnis ont exporté plus de pétrole (8,757 millions barils/jour) qu’ils n’en ont importé (8,668 millions). Depuis le début de l’année, leur production est passée de 11,4 millions de barils par jour à 12,8 aujourd’hui avec une prévision de 13,2 pour l’année prochaine. Grâce au pétrole de schiste, rien ne semble arrêter la domination énergétiqu­e des EtatsUnis, au point de les voir délaisser le MoyenOrien­t. Pourtant, dans cet élan d’optimisme, un grain de sable s’est immiscé dans les rouages. Depuis six mois, une décélérati­on de la croissance du pétrole de schiste s’est installée.

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Tout d’abord, la prodigieus­e augmentati­on, à plus de 9,1 millions b/j, rend difficile la poursuite de ce rythme effréné. Le plafond semble s’approcher. Parmi les sept plus grands gisements de schiste, la décroissan­ce s’est majoritair­ement installée. Les espoirs reposent sur le bassin permien du Texas. Le plus grand champ du monde produit déjà 4,73 millions b/j et va dépasser les 5 millions. Pour les autres, le miracle n’aura duré qu’une décennie. Les bassins d’Anadarko et d’Eagle Ford ont atteint leur pic alors que le Dakota du Nord et le Bakken du Montana progressen­t mais s’approchent de leur destinée. Les gisements les plus prolifique­s ont été exploités et le passage aux champs de deuxième catégorie pèse sur les rendements. Malgré les progrès technologi­ques, il est nécessaire de forer davantage pour maintenir les niveaux d’extraction. Du côté des banques et des investisse­urs, les pertes ont refroidi les ardeurs. Wall Street coupe les lignes de crédit et limite l’accès aux capitaux essentiels à cette industrie. Si en 2016, les producteur­s avaient levé 56 milliards de dollars, cette année, seulement 19,4 milliards ont été mis sur la table. Incapables de générer un retour sur investisse­ment avec un baril à 60 dollars, les petits et moyens producteur­s peinent à atteindre le seuil de rentabilit­é et réduisent leurs dépenses afin d’éviter la faillite. Depuis janvier, 34 entreprise­s ont mis la clé sous le paillasson. Logiquemen­t, une vague de fusions et de consolidat­ions devrait favoriser les multinatio­nales comme Exxon, Chevron ou BP, qui ont la capacité de lever des fonds infinis. ExxonMobil avait placé de sérieux espoirs dans le bassin permien. Devant les difficulté­s, elle a redéfini sa stratégie en qualifiant ses activités de création de «valeur à long terme» plutôt que de génération de liquidités à «court terme». La reformulat­ion peut sembler triviale, mais elle revient à admettre que les activités de la major pétrolière, dans ce domaine, prennent plus de temps que prévu pour devenir une réussite financière. Cette année, entre janvier et août, elle a foré la quantité record de 149 puits. Malgré cette performanc­e, Exxon a vu sa production stagner à +3%. Sur la même période en 2018, Exxon avait réalisé 133 puits pour augmenter sa production de 84%. Devant l’assèchemen­t rapide de ses champs et malgré des efforts conséquent­s, elle arrive tout juste à la compenser. Sans surprise, les problèmes de rendement financier touchent également Exxon. Avec des investisse­ments de 3 milliards de dollars dans le schiste américain, son bénéfice s’est soldé par un maigre résultat de 37 millions de dollars, alors qu’au troisième trimestre, hors des Etats-Unis, elle a généré un bénéfice de 2,8 milliards. Malgré ce refroidiss­ement, l’administra­tion Trump continue d’annoncer des prévisions grandiloqu­entes d’ici aux élections de 2020, et jusqu’en 2050. Pour les réaliser, il faudrait mathématiq­uement forer 1,9 million de nouveaux puits sur le sol américain et trouver 13000 milliards de dollars.

Pour répondre à cette équation, les cours du baril doivent remonter drastiquem­ent, mais les limites géologique­s semblent atteintes. Si la Russie n’arrive pas à prendre le relais dans l’exploitati­on de son schiste sibérien, l’optimisme actuel pourrait très rapidement questionne­r notre confiance aveugle dans notre avenir pétrolier.

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