Le Temps

Mon Sport award pour un cheval

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Numéros 1 et 2 mondiaux, les cavaliers Steve Guerdat et Martin Fuchs n’ont pas été retenus parmi les six candidats au Prix du sportif suisse de l’année, qui sera décerné le 15 décembre à Zurich. Le milieu piaffe d’incompréhe­nsion

Mercredi matin au bar de l’hôtel Starling, la conférence de presse du concours hippique de Genève (du 12 au 15 décembre) tient à la fois de l’épreuve de dressage et du trot attelé. Les organisate­urs du CHI posent des questions aux invités, Steve Guerdat et Martin Fuchs, quand ils ne font pas les réponses eux-mêmes. L’accent est mis sur la présence à Genève et dans les rankings de deux Suisses aux deux premières places mondiales. Message subliminal: le public ne doit pas rater cette chance de venir les voir (jusqu’ici, la billetteri­e marche un peu moins bien qu’à l’accoutumée).

C’est donc un déluge d’éloges, une énumératio­n de victoires, le rappel de leurs qualités et plus encore de leur amitié. Le manège fonctionne parfaiteme­nt jusqu’à ce qu’Alban Poudret – pur-sang s’il en est – n’y tienne plus. «Dans ce contexte, lâche le directeur sportif du CHI et rédacteur en chef du Cavalier romand, il est très décevant que ni Steve ni Martin n’aient été nominés pour le titre de Sportif suisse de l’année. Ils réalisent à longueur d’année des performanc­es exceptionn­elles dans un sport olympique; c’est tout de même autre chose que la lutte suisse!»

C’est dit. Depuis la révélation vendredi de la liste des nomination­s à la cérémonie des Sport awards, le 15 décembre à Zurich, le milieu équestre suisse piaffe d’incompréhe­nsion. Le sportif suisse de l’année est à chercher parmi Roger Federer, Beat Feuz (vainqueur de la Coupe du monde de descente), Jérémy Desplanche­s (médaillé d’argent aux Championna­ts du monde de natation), Nino Schurter (champion du monde et vainqueur de la Coupe du monde de VTT), Julien Wanders (recordman d’Europe du 10 km et du semi-marathon) et Christian Stücki (roi de la lutte suisse).

«Un manque de respect pour notre sport»

Steve Guerdat, vainqueur de la finale de la Coupe du monde et numéro un mondial, et Martin Fuchs, deuxième de cette même finale de Coupe du monde, champion d’Europe et numéro deux mondial, faisaient partie des 15 noms soumis au vote de la presse et des profession­nels du sport en Suisse. Le fait d’être deux a sans doute joué contre eux. Ainsi, Le Temps a-t-il attribué des points à Guerdat (pour ses performanc­es, mais aussi pour son éthique, son soutien auprès des jeunes cavaliers suisses, son implicatio­n dans la gouvernanc­e de son sport) mais pas à Fuchs. Ont-ils fini septième et huitième? Impossible de le savoir. «Ces résultats ne vous seront communiqué­s qu’après l’élection», répond Silvana Meisel, cheffe de projet Communicat­ion Business Unit Sport à la SSR.

Un seul cavalier récompensé depuis 1950

A froid, Alban Poudret reconnaiss­ait être un peu monté sur ses grands chevaux. «Mais il faut bien défendre notre sport. Et Steve Guerdat, qui appartient au cercle des meilleurs mondiaux depuis quinze ans, n’a été nominé qu’une seule fois.» C’était en 2012, l’année de son titre olympique. C’était aussi l’année du énième grand retour de Federer (vainqueur à Wimbledon et numéro un mondial), sacré avec 44% des voix, devant Dario Cologna (20%) et Steve Guerdat (15%). Le Jurassien avoue s’être désintéres­sé depuis de cette récompense. «Je ne lis même plus les e-mails qu’ils m’envoient, confie le Jurassien. Ce n’est pas grave et ce n’est pas ça qui me fait me lever le matin. Mais, d’un autre côté, je dois admettre que c’est un peu décevant. Il faut faire quoi de plus? Pour notre sport, je trouve que c’est un manque de respect. Le Blick a deux pages pour parler de l’affaire Paul Estermann [accusé de maltraiter ses chevaux] mais quand Martin est champion d’Europe, c’est à peine si on trouve le résultat.»

Créé en 1950, le Prix du sportif suisse de l’année n’a récompensé qu’une fois un cavalier, Henri Chammartin en 1964. Christine Stückelber­ger a été élue sportive de l’année en 1976, l’année de son titre olympique en dressage. Chez les garçons, les athlètes (17 fois), les cyclistes (12) et les skieurs (8) sont les plus souvent élus.

Une nouvelle catégorie MVP

Les polémiques sont vieilles comme ces récompense­s qui mélangent les exploits individuel­s et les performanc­es collective­s, la saison et l’année civile, le mérite et la popularité. En 2005, le motard Thomas Lüthi, titré dans la modeste catégorie 125 cm3, avait été préféré à un Federer à 95,3% de victoires. En 2013, la skieuse tessinoise Lara Gut, seulement quatrième, avait évoqué un «racisme anti-Latins». L’an dernier, l’oubli du basketteur Clint Capela, pas même cité dans la présélecti­on, avait motivé un courrier outré du président de la Fédération suisse de basket-ball. Cette année, le pivot des Houston Rockets concourt dans une nouvelle catégorie, dite «MVP», réservée aux «athlètes ayant déployé des performanc­es exceptionn­elles dans le cadre d’un sport d’équipe».

«Depuis la disparitio­n du CSI de Zurich [en janvier 2018], j’ai ressenti une très nette baisse d’intérêt des médias alémanique­s», observe Martin Fuchs. La SRF n’était pas présente fin août à Rotterdam lorsqu’il est devenu champion d’Europe, trop occupée à couvrir la Fête fédérale de lutte.

Couronné à Zoug, Christian Stücki est le grand favori pour être désigné sportif de l’année le 15 décembre. «Nous, on fêtera la fin du concours avec nos amis du CHI et ce sera tout aussi bien», conclut Steve Guerdat.

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