Olivier Babel, l’infatigable missionnaire du livre
Le secrétaire général de Livresuisse insuffle une énergie à un secteur plus déterminé que jamais à faire mieux connaître ses talents dans ce pays et à l’étranger
Il y avait ce jour-là un air de fête, mais pas seulement. C’était le 14 novembre, au Bourg à Lausanne. L’ancien cinéma devenu lieu de concerts et de soirées accueillait l’ensemble ou presque des éditeurs, des libraires et des diffuseurs de livres de Suisse romande. Plus d’une centaine de professionnels avaient répondu à l’invitation d’Olivier Babel, secrétaire général de l’association interprofessionnelle depuis deux ans à peine. But de la rencontre: trinquer à la naissance de Livresuisse, nouveau nom de cette association qui a déjà connu plusieurs appellations durant sa longue histoire, toujours des acronymes – dernier en date: l’Asdel, pour Association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires.
Qui dit nouveau nom dit nouvelle naissance, nouvelles énergies, élan. Et à circuler parmi les invités, on percevait la satisfaction et un peu de surprise aussi. «Il est arrivé à faire venir tout le monde», résumait, épatée, Caroline Coutau, directrice des Editions Zoé et présidente de Livresuisse, en désignant des yeux Olivier Babel, affairé à lancer cette soirée de baptême et de mobilisation. Livresuisse arbore un nouveau logo qui indique une volonté d’être plus visible et surtout identifiable par les professionnels, mais aussi par le grand public, des lecteurs aux politiques.
Créer l’envie
Le succès de la fête est venu sans doute du fait qu’elle ponctuait deux ans d’actions lancées par Olivier Babel; parmi elles, la plus marquante, la Quinzaine du livre suisse, qui s’est tenue en France et en Belgique du 4 au 16 février 2019. Elle a réuni neuf librairies françaises (de Paris à Bordeaux) et une à Namur, en Belgique. Toutes ont mis en avant des livres d’éditeurs suisses (28 au total), organisé des rencontres, accueilli des performances festives comme celle du collectif Les Insécables, qui réunit les éditeurs Art&Fiction, Hélice Hélas, La Baconnière et En Bas. Une opération de promotion vers le principal marché d’exportation, la France.
Comment créer de la curiosité chez des libraires français qui font déjà face à l’offre pléthorique des maisons françaises? Olivier Babel nous répond dans son bureau de l’avenue de la Gare, à Lausanne, QG minuscule mais comme agrandi par l’énergie que déploie son occupant: «Un libraire est quelqu’un de curieux par métier. On sent une lassitude envers la mainmise parisienne de l’offre éditoriale et la politique du best-seller. Plusieurs bons libraires s’émancipent des diktats des grosses plateformes de diffusion et mettent en avant les catalogues de petits éditeurs qui font un travail magnifique. Un libraire se moque de savoir si tel livre vient d’une maison française ou suisse. Il veut de la qualité. D’où l’importance de décloisonner l’édition suisse.»
Née d’une impulsion donnée lors des Assises professionnelles du Salon du livre de Genève, la Quinzaine du livre suisse sera reconduite en février 2020 avec, cette fois-ci, 25 librairies participantes.
Quand on lui demande ce qui nourrit son engagement et une force de conviction capable de réveiller les blasés et les fatigués, l’ancien éditeur répond: «Ma passion pour le livre. Et mon goût pour le travail associatif. Le livre permet de s’évader, de maintenir en éveil la curiosité intellectuelle et de trouver les clés pour appréhender le monde dans lequel on vit. Autant d’aspects rendus encore plus nécessaires aujourd’hui devant les flots d’informations que nous recevons continuellement, les discours publicitaires, les fake news, les algorithmes. Le livre est un espace de liberté qui permet de penser et de garder la conscience de notre simple condition d’être humain.»
Renoncer à la route
L’art des métamorphoses, voilà ce que cultive Olivier Babel, se dit-on en l’écoutant raconter comment il a quitté son poste de directeur des Presses polytechniques et universitaires romandes (PPUR), une fonction qu’il a occupée pendant vingt-deux ans. «J’avais l’impression d’avoir donné tout ce que j’avais à donner.»
L’édition, il l’a apprise sur le tas. Né à Lausanne, fils d’éditeur (son père était le responsable du bureau romand des éditions de cartes routières et de beaux livres Hallwag), il commence des études d’économie puis se lance dans un grand voyage en Amérique du Sud. Des livres plein le sac à dos, il rentre en Suisse avec l’idée de se refaire une santé pour mieux repartir. Mais il tombe amoureux et renonce à la route. Il voit une annonce des Presses polytechniques qui cherchent un livreurmagasinier. Il a 25 ans, c’est pour lui, se dit-il. Il se rend à l’entretien d’embauche, le réussit mais pour un autre job, qui s’était libéré entre-temps, celui de responsable de la promotion.
Ces jours-ci, le secrétaire général de Livresuisse et son équipe de volontaires motivés (Hadi Barkat des Editions Helvetiq, Véronique Rossier de la librairie Nouvelles pages, Stéphane Fretz d’Art&Fiction, pour ne citer qu’eux) se mobilisent pour convaincre sur un projet d’envergure: faire de la Suisse l’hôte d’honneur du Salon du livre de Bruxelles. «On a déjà une belle programmation», souffle-t-il. On le croit sur parole.
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«On sent une lassitude envers la mainmise parisienne de l’offre éditoriale. Plusieurs bons libraires s’émancipent des diktats des grosses plateformes de diffusion»