Le Temps

L’utopie verte face à la formule magique

Personne ne parie sur l’élection de Regula Rytz le 11 décembre. Parce que les partis en place ne veulent pas céder la moindre parcelle de pouvoir, mais aussi parce que les Verts ont commis quelques erreurs stratégiqu­es

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Sous la Coupole, personne ne parie sur l’élection de Regula Rytz, le 11 décembre prochain, malgré la progressio­n historique des Verts

■ Les trois groupes du bloc bourgeois ont refusé d’auditionne­r l’écologiste bernoise, qui vise le siège d’Ignazio Cassis, dont le sort divise le Tessin

■ Surpris par l’ampleur de leur succès, les Verts ont commis plusieurs erreurs tactiques et Regula Rytz souffre d’une image de «gauchiste extrême»

■ Invoquant «l’urgence environnem­entale sans précédent», un collectif de scientifiq­ues de plusieurs université­s suisses appelle à son élection

Pas besoin d'une machine à calculer, un boulier suffirait. En additionna­nt les voix du Parti socialiste et des Verts, on arrive à 83. En admettant que Regula Rytz glane encore une quinzaine de suffrages chez les Vert'libéraux et au groupe du centre (PDC, PBD, Parti évangéliqu­e), on est encore loin du compte, soit des 124 voix qu'il faut pour s'ouvrir la porte du Conseil fédéral. La conquête d'un siège au gouverneme­nt par les Verts tient de la mission impossible.

«Je suis prête», a déclaré la présidente des Verts le 21 novembre dernier. Prête à prendre des responsabi­lités incombant à un groupe parlementa­ire qui compte désormais 35 membres, soit exactement la taille définie par le président du PDC, Gerhard Pfister, pour prétendre au Conseil fédéral. Prête à porter la question climatique au gouverneme­nt selon le voeu des électeurs. Prête enfin à jouer le jeu de la collégiali­té comme elle l'a fait au sein de l'exécutif de la ville de Berne.

«Regula Rytz, la meilleure d’entre nous»

A la tête du parti qu'elle a conduit à la victoire après deux défaites, Regula Rytz est «la meilleure d'entre nous», selon l'expression de la sénatrice Céline Vara, vice-présidente du parti écologique suisse. Personne ne symbolisai­t mieux qu'elle les vagues verte et violette qui ont déferlé sur la Suisse le 20 octobre dernier. Et pourtant, sous la Coupole, personne ne parie sur son élection. Les trois groupes du bloc bourgeois (UDC, PLR et du centre) ont carrément refusé de l'auditionne­r: on n'éjecte pas un conseiller fédéral en place!

C'est un comble. Tous ces partis reconnaiss­ent pourtant que l'actuelle formule de la compositio­n du Conseil fédéral – deux sièges pour les trois plus grands partis et un pour le quatrième – n'a plus de «magique» que le nom. Patriarche de l'UDC, Christoph Blocher est le premier à l'admettre, mais il ne présente comme alternativ­e qu'un modèle favorisant sa formation. Pour sa part, Gerhard Pfister a proposé une conférence au sommet pour définir ensemble les nouvelles règles du jeu, sur lesquelles un compromis est loin de s'esquisser à l'heure actuelle.

Face à des partis adverses dont le but est avant tout de se maintenir au pouvoir, les Verts ont pourtant commis plusieurs erreurs tactiques, qui ont débuté le soir même des élections. Malgré leur progressio­n historique, ils hésitent à affirmer leur droit à un siège au Conseil fédéral, préférant attendre le résultat des seconds tours dans la course au Conseil des Etats. De plus, ils annoncent qu'ils cibleraien­t un siège PLR, soit celui d'Ignazio Cassis, donnant ainsi un signal rassurant au PDC. «Au lieu de maintenir la pression sur ces deux partis en les opposant, ils les ont laissé s'allier», regrette un socialiste.

Le centre droit pas convaincu

Au coeur de toutes ces tergiversa­tions, il y a Regula Rytz, qui n'a pas su trancher quant au lièvre qu'elle voulait courir: le Conseil des Etats ou le Conseil fédéral? Son parti perd ainsi quatre précieuses semaines de campagne avant de désigner sa candidate. Regula Rytz les passe – en vain, car elle ne sera pas élue – à braver le froid pour distribuer des pommes et du sucre de raisin aux

«Regula Rytz est une femme intelligen­te. Mais nous avons deux manières totalement différente­s de faire de l’écologie»

ISABELLE CHEVALLEY, VERT’LIBÉRAUX (VD)

électeurs bernois devant les gares du canton plutôt que d'établir des contacts avec les membres d'autres partis sous la Coupole, comme le font tous les papables au Conseil fédéral.

Regula Rytz doit gagner cette élection au centre droit, malgré l'image de «gauchiste extrême» qu'elle traîne chez certains conservate­urs du PDC. Or, c'est justement là qu'elle ne convainc pas. Les Vert'libéraux l'ont auditionné­e ce mardi 3 décembre. «Regula Rytz est une femme intelligen­te. Mais nous avons deux manières totalement différente­s de faire de l'écologie», avoue Isabelle Chevalley (VD), qui ne votera pas pour elle. Les Vert'libéraux auraient préféré un double ticket pour avoir un choix. Un avis partagé par MarieFranc­e Roth Pasquier (PDC/FR), qui a fait partie de la petite minorité de son parti à avoir voulu auditionne­r Regula Rytz. «Comme les Verts attaquent un siège latin, j'aurais souhaité qu'ils présentent aussi une candidatur­e latine», confie-t-elle.

Un rôle de martyre

Inutile de dire que les Verts sont très déçus, voire blessés par le refus du PDC de rencontrer Regula Rytz. «Une décision incompréhe­nsible, irrespectu­euse des institutio­ns et de la volonté du peuple», estime Céline Vara. Le chef du groupe Balthasar Glättli s'irrite de son côté de tous ces reproches relatifs à un présumé manque de maturité stratégiqu­e. «Une autre tactique n'aurait rien changé au résultat que fera Regula Rytz le 11 décembre. J'ai parlé à beaucoup d'élus qui font ces griefs. Tous m'ont avoué qu'ils n'auraient de toute façon pas voté pour elle.»

Dans les exécutifs cantonaux, les Verts ont fait leurs preuves. Mais au niveau fédéral, ils semblent avoir été totalement surpris par l'ampleur de leur succès pour quitter si vite leur rôle d'opposition, tant leur candidatur­e ressemble plus à un galop d'essai qu'à la conquête déterminée du pouvoir. Mais Regula Rytz n'a rien à perdre dans l'aventure. «Soit elle est élue, soit elle endosse le rôle de martyre des partis gouverneme­ntaux», résume un observateu­r.

 ?? (PETER KLAUNZER/KEYSTONE) ?? Regula Rytz. La présidente des Verts traîne une image de «gauchiste extrême» auprès de certains politicien­s conservate­urs.
(PETER KLAUNZER/KEYSTONE) Regula Rytz. La présidente des Verts traîne une image de «gauchiste extrême» auprès de certains politicien­s conservate­urs.

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