Le Temps

Solde en votre faveur

- ALEXIS FAVRE PRODUCTEUR D’«INFRAROUGE» (RTS) @alexisfavr­e

Je m’énervais tranquille­ment d’un oeil sur les réseaux sociaux hier, quand le pli d’une administra­tion genevoise vint interrompr­e cette rêverie douceamère. Dans le flot des invectives ordinaires, proférées sur tous les tons et sur tous les sujets, ces mots bureaucrat­iquement susurrés à mon oreille: «L’examen comptable de votre dossier fait apparaître un solde positif en votre faveur.»

Je ne vous dirai pas de quelle administra­tion il s’agissait, ce n’est pas le sujet. Mais tout à coup, au coeur de l’hybris, dans la noirceur de ce siècle omniméchan­t, la moin-dre discussion sur les arbres, les cochons, l’impôt sur la fortune, les femmes ou l’islam vire au pugilat… changement de paradigme. Sans prévenir, un petit bisou comptable déposé sur ma joue, une caresse inattendue dans la jungle horizontal­e des certitudes assénées comme des uppercuts. Le solde en question s’est avéré symbolique. Mais il était positif et en ma faveur. Deux caractéris­tiques devenues suffisamme­nt rares pour trancher. Il aura suffi d’un courrier administra­tif pour me faire entrevoir la trace de ce qui n’a jamais cessé de sommeiller sous les vagues de fiel: la bienveilla­nce.

Attention, je ne parle pas d’un acte isolé de bienveilla­nce, d’une sorte d’exception dans un monde de brutes. Je parle bien d’une bienveilla­nce immanente, structurel­le, multirésis­tante, génétique et indécrotta­ble, qui s’accroche à l’humanité comme une moule à son rocher.

Songez-y. Faut-il que la bienveilla­nce ait été érigée en système pour que les types aussi désorganis­és que moi reçoivent automatiqu­ement, et sans avoir rien demandé, de gentils courriers les invitant à récupérer quelques sous déboursés par erreur! Des sous que les types en question ignoraient même avoir indûment dépensés.

A bien y réfléchir, le phénomène dépasse largement le cadre codifié des usages bureaucrat­iques. La bienveilla­nce est partout, il suffit de savoir la reconnaîtr­e quand elle se manifeste. A la sortie d’un film à suspense par exemple, ou de la nouvelle saison de la série qui vous tient en haleine. Avez-vous jamais songé à la dose de bienveilla­nce résiduelle qui sommeille chez vos semblables pour qu’aucun d’entre eux ne se vautre dans le plaisir méchant de vous divulgâche­r la fin à la première occasion? Et au restaurant? Combien de fois vous êtes-vous pris de bec avec un serveur sans qu’il crache pour autant dans votre bol de soupe? La réponse à cette question résout une énigme vieille comme le monde: oui, l’homme est naturellem­ent bon.

Gardez cette bonne nouvelle en tête avant de retourner vous écharper sur la Toile. Je vous le garantis, vous ne vous insulterez plus jamais de la même manière.

«Une bienveilla­nce immanente, structurel­le, multirésis­tante»

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