Le Temps

Portrait-robot du candidat idéal (pour l’armée)

- MALEK BACHIR, ALGER

Le prochain président devra à la fois se mettre au service d’un système qui veillera à encadrer son pouvoir et s’affirmer comme un anti-Bouteflika

Si, à une semaine de l’élection présidenti­elle qui doit se tenir le 12 décembre en Algérie, aucun nom de favori ne se dégage, les qualités que le candidat idéal doit présenter pour succéder à Abdelaziz Bouteflika sont déjà connues. Ce dernier a quitté le pouvoir le 2 avril après vingt ans de règne, poussé par un mouvement populaire inédit et par le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, devenu depuis, et malgré un président nommé par intérim, l’homme fort du pouvoir.

Les médias, qui ont longtemps présenté les deux anciens premiers ministres Abdelmadji­d Tebboune, 74 ans, et Ali Benflis, 75 ans, comme les deux favoris, affirment qu’Azzedine Mihoubi, 60 ans, lui aussi ex-ministre de Bouteflika, aurait toutes ses chances s’il était soutenu par le FLN. En mettant à la dispositio­n du candidat ses réseaux actifs dans les moindres recoins du pays, l’ex-parti du pouvoir serait concrèteme­nt un précieux atout.

Moins mis en lumière, les deux autres candidats – Abdelaziz Belaïd, un apparatchi­k qui tente un renouveau mais dans le cadre très conservate­ur du système, et Abdelkader Bengrina, un islamiste incolore – semblent déjà oubliés.

«Candidat de l’armée»

«Tout le monde se focalise sur la personnali­té du prochain président, mais ça n’a aucune importance puisqu’ils feront tous ce que l’armée, et en particulie­r Gaïd Salah, leur dira de faire!» s’emporte Ludmilla, 37 ans, une médecin qui manifeste tous les vendredis. Pour un ancien officier supérieur qui, dans l’atmosphère de terreur provoquée par les arrestatio­ns massives de militants, de journalist­es et d’hommes politiques, préfère garder l’anonymat, il est impossible que «le système», qui agrège armée, pôle sécuritair­e et administra­tion centrale, «laisse complèteme­nt décider les Algériens». «C’est la raison pour laquelle les candidats se battent pour se revendique­r «le candidat de l’armée», note-t-il. Autrement dit, ce n’est pas par le Conseil constituti­onnel qu’ils ont été validés avant que la course commence, mais par le système!»

Et le cahier des charges du président idéal est assez clair.

«Tout le monde se focalise sur la personnali­té du prochain président, mais ça n’a aucune importance puisqu’ils feront tous ce que l’armée leur dira de faire!»

UNE MANIFESTAN­TE

Il devra «d’abord poursuivre l’opération mains propres lancée par Gaïd Salah, explique un cadre de l’Etat. Et le chef d’état-major, dont le Hirak (mouvement de mobilisati­on populaire) réclame la tête, doit être sûr que le prochain président ne le poignarder­a pas dans le dos une fois élu, comme lui-même a poussé Bouteflika vers la sortie.» Car c’est un des paradoxes de la politique algérienne: la toute-puissance de l’armée est atténuée par la nature du régime, hyper-présidenti­aliste dans les textes.

Il devra ensuite «servir d’interface» avec les partenaire­s étrangers, explique le diplomate algérien. «Que ce soit avec le gouverneme­nt français, le Départemen­t d’Etat américain, la Ligue arabe ou le FMI, qui devrait venir sonner à notre porte d’ici à 2022 pour nous imposer des mesures d’austérité, il faut qu’il soit à la hauteur.» En même temps, il n’aura pas à «réinventer la diplomatie, nuance-t-il. Les grandes lignes sont déjà tracées et il devra respecter les positions officielle­s sur des sujets comme le Maroc, la non-ingérence, la Palestine, le partenaria­t avec l’Union européenne ou encore l’équilibre des forces avec les grands blocs.»

Loi de finances déjà adoptée

Autre domaine dans lequel le président ne devra pas faire de flammes: l’économie. La loi de finances, qui fixe les grandes lignes de la politique budgétaire pour l’année à venir, adoptée mi-novembre au parlement, lui a de toute manière déjà échappé. Tout comme la nouvelle loi sur les hydrocarbu­res, destinée à attirer les investisse­urs étrangers par une fiscalité plus souple. D’ores et déjà mal élu, il ne pourra pas décider des mesures d’austérité dont l’Algérie aurait pourtant besoin (réformes structurel­les, coupes dans les subvention­s) au risque de provoquer des manifestat­ions d’une tout autre ampleur que le Hirak.

Enfin, il devra donner des garanties – sous contrôle de l’armée – au Hirak. Les candidats ont ainsi promis, très tôt dans la campagne, de cadenasser la limitation des mandats présidenti­els, ou de former «un gouverneme­nt d’ouverture» et «une nouvelle Constituti­on». Incarner la transition alors que les candidats sont tous issus du régime Bouteflika sera clairement un défi plus périlleux que de se mettre au service de l’armée. ▅

 ?? (ANIS BELGHOUL/AP) ?? Le chef de l’état-major et vice-ministre de la Défense nationale, Ahmed Gaïd Salah, est l’homme fort du régime.
(ANIS BELGHOUL/AP) Le chef de l’état-major et vice-ministre de la Défense nationale, Ahmed Gaïd Salah, est l’homme fort du régime.

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