Le PS prend ses désirs pour des réalités
Les Verts revendiquent un siège au Conseil fédéral à la suite de leur percée lors des dernières élections: c’est de bonne guerre. Le jeu politique exige en effet de ne pas se laisser oublier, de surfer sur les victoires, de garder un profil conquérant même dans le succès, de jouer les gros bras même dans les causes perdues. Une telle attitude permet de monopoliser l’attention et d’intéresser les médias, tout heureux d’avoir du grain à moudre. Indépendamment de ses positions politiques, Regula Rytz fait donc tout juste. Celui qui fait faux, au contraire, c’est le Parti socialiste. Les propos de son futur ex-président le week-end dernier font partie de ces erreurs qui vont continuer à coûter cher à son parti, dont l’érosion depuis dix ans finit par devenir problématique. Qu’a-t-il dit?
D’abord, il fait la prévision catégorique que les Verts ne régresseront pas dans quatre ans et qu’il ne faut donc pas attendre la confirmation de ce succès pour élire leur présidente mercredi prochain, à la place d’Ignazio Cassis. Pourtant, rien n’est moins sûr. Déjà, à la suite de l’accident de Fukushima au Japon, les écologistes avaient fait une belle percée, qui ne s’était pas confirmée quatre ans plus tard. Les faits sont têtus mais Christian Levrat encore plus. D’ailleurs, si son pronostic se révélait exact, la durabilité des Verts ce ferait sans doute au détriment du PS, qui n’a vraiment pas besoin de cela.
Ensuite, le président du PS menace directement le PDC en affirmant que si ce parti ne choisit pas Regula Rytz cette fois-ci contre le PLR, ce sera un suicide politique, car c’est son propre siège qui sautera à court terme. Le chantage est clair: si vous n’obéissez pas à mes injonctions, le PS ne vous soutiendra plus lors des élections suivantes et madame Amherd en fera les frais. On s’étonne que le Fribourgeois puisse anticiper les mots d’ordre du parti qu’il ne présidera plus à ce moment-là mais, surtout, qu’il postule que la gauche puisse faire la pluie et le beau temps à l’Assemblée fédérale. Pourtant, le lâchage du PS ne peut suffire à faire tomber le PDC, et les menaces proférées relèvent de l’intimidation.
Sur le modèle de Lénine qui disait «Ecartons d’abord les faits», le président du PS ajoute: «Je ne vois pas pourquoi l’UDC et le PLR conserveraient leur majorité au gouvernement alors qu’ils l’ont perdue au parlement.» Là, il prend ses désirs pour des réalités, car si la droite n’a pas la majorité absolue de l’Assemblée, elle en a la majorité relative, loin devant la gauche. En effet, sur ses 246 membres, la plus forte représentation est clairement de droite avec l’UDC et le PLR (101 sièges, 41%), puis la gauche avec le PS et les Verts (83 sièges, 34%), puis le nouveau centre résultant de l’alliance PDC-PEV-PBD (44 sièges, 18%), le solde étant composé des 16 sièges des Vert’libéraux et de deux divers autres (18 sièges, 7%). Ce n’est donc qu’en récupérant le centre que le PS peut espérer obtenir le Conseil fédéral dont il rêve.
En effet, imaginons que Regula Rytz soit élue grâce au soutien du PDC. Alors la majorité du Conseil fédéral pencherait à gauche, avec une Verte, deux socialistes et un PDC qui, ayant obéi au chantage du PS, se trouverait coincé dans son choix mortifère. Cela s’est déjà produit lorsque les socialistes, les Verts et le PDC s’étaient alliés pour exclure Christoph Blocher du Conseil fédéral. Le PS avait ensuite maintenu Eveline Widmer-Schlumpf sous son influence pendant huit ans, avec les conséquences que l’on sait sur la politique du pays. S’il reproduisait une telle alliance, le PDC signerait son arrêt de mort. Christian Levrat n’a raison que sur un point, quand il dit que rien n’est plus stratégique pour la Suisse que la composition de son Conseil fédéral. Espérons que les autres partis s’en souviendront mercredi et que leurs troupes voteront massivement pour l’équilibre actuel, que tout justifie et qui est vital pour affronter les prochaines années. A bon entendeur PDC salut!
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