Le Temps

Noël, c’était comment avant? Les souvenirs de Jane Infanger

Jane Infanger est installée à Genève depuis 1951. Mais auparavant, cette tout juste nonagénair­e a grandi à Bourg-en-Bresse et célébré Noël «à la française». Des aiguilles de sapin aux rationneme­nts de guerre, elle nous fait un peu goûter de son univers

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARION POLICE @marion_902

L’esprit de Noël… Autrefois, il était plus fervent, plus religieux, et c’était quelque chose! A Bourg-en-Bresse, mes parents, ma soeur cadette et moi vivions dans un petit appartemen­t que nous décorions en vue des Fêtes. Mon père était typographe et ma mère linotypist­e, ils se sont rencontrés en travaillan­t dans la même imprimerie. Elle était native de Bourg, lui venait de Delémont, il était protestant mais respectait les traditions catholique­s de son épouse.

J’ai conservé une jolie crèche qu’il avait construite, avec plein de santons. Maman préparait un sapin, elle y accrochait des guirlandes et du gui pour Nouvel An. Elle fabriquait des flocons avec de la ouate et y plaçait des vraies bougies que l’on allumait en rentrant de l’école. Une fois – je devais avoir 12 ans – tout a pris feu!

Maman, héroïque, a ouvert la fenêtre et jeté l’arbre en bas! Heureuseme­nt que personne ne passait en dessous. (Rires.)

Je me souviens que, comme nous n’avions pas de tourne-disque, nous allumions la radio pour entendre des chansons de Noël, et nous chantions à l’école tout au long du mois de décembre avec notre institutri­ce. Le 24 au soir, nous allions à la messe de minuit, et nous mangions la bûche que nous avions achetée en rentrant. Il y avait du chocolat dessus, des fruits confits. Mais je n’y pensais pas pendant la messe!

La cérémonie était longue, presque deux heures, oui, mais belle, solennelle. J’étais très croyante. Pendant la guerre, toujours à Bourg-en-Bresse, alors que j’étais adolescent­e, nous nous y rendions malgré le couvre-feu. On ne nous empêchait pas de sortir, mais les rues étaient terribleme­nt sombres. J’ai la chair de poule en y repensant.

Au moment d’aller au lit, maman plaçait une bougie dans une coupe d’huile près de mon lit et je m’endormais très tard, parce que j’observais les ombres. En fait, j’attendais le Père Noël. Nous découvrion­s les cadeaux devant la cheminée le lendemain matin: des poupées, des dînettes, des jeux… Nos parents étaient très généreux!

Ma soeur et moi leur donnions une liste, mais nous n’avions pas tout ce que nous désirions, bien sûr. Un cadeau qui m’a marquée? Je le revois encore: c’est un landau où je pouvais coucher deux poupées. Il était en bois, avec des rideaux, tout garni.

Le repas de Noël avait lieu ce jour-là, à midi. Maman cuisinait souvent de l’excellent rôti de veau, parfois un poulet de Bresse. Il fallait du fromage aussi, du bon fromage comme du camembert ou du Boursault. Et du vin rouge. J’aime beaucoup le vin rouge. Pour mes 90 ans, cette année, ma famille m’a offert une bouteille de pommard, j’en raffole!

On ne mangeait pas de saumon ou de foie gras à l’époque, c’était moins copieux. Et encore moins pendant la guerre, où nous recevions peu de jouets et trois fois moins de nourriture. Tout était très rationné, mais nous avions quand même de la bûche: elle était juste moins chargée en chocolat et en beurre. Et puis, il ne fallait pas se laisser abattre complèteme­nt. On riait, on chantait. Je n’ai jamais eu l’impression que c’était sinistre.

J’ai rencontré mon premier mari à 17 ans, juste après la guerre. Un Genevois. Il était charmant, drôle, mais il racontait beaucoup d’histoires. C’est à cause de lui que j’ai passé le Noël le plus triste de ma vie. Je suis venue à Genève pour les Fêtes alors que nous étions fiancés, et il m’a laissée seule avec ses parents pour sortir avec des amis. Chez eux, il n’y avait aucune décoration, aucune atmosphère de Noël. La seule chose que nous avons faite, c’est nous rendre dans un café tenu par des connaissan­ces à eux.

Comme je chantais bien à l’époque, ma future belle-mère m’a suggéré d’entonner

Petit Papa Noël, alors j’ai chanté, j’ai été applaudie… Mais on ne peut pas dire que j’étais ravie. Nous sommes restés mariés deux ans et demi, puis j’ai obtenu le divorce. Mais je n’ai pas quitté la Suisse, sauf l’espace de deux ans pour suivre à Paris une famille pour laquelle j’étais gouvernant­e.

C’est vraiment lorsque j’ai eu ma propre famille que j’ai instauré de nouvelles traditions de Noël. En 1959, j’ai épousé mon second mari, Emile, après six années de relation. Nous avons vécu dix ans en appartemen­t, et puis il a voulu construire une maison à Plan-les-Ouates (GE), où nous avons passé plusieurs fêtes de fin d’année: nous invitions ma soeur et sa famille, ainsi que nos parents. Comme cela, ma fille Jocelyne n’était pas seule.

Nous avons d’abord fêté les soirées du 24 chez ma soeur, et ce n’était plus seulement de la bûche à table, c’était un festin! Au début, nous mangions la fondue bourguigno­nne, puis la chinoise. C’est devenu une tradition, tout comme les cerises au kirsch qu’on m’offre le 25 au matin.

En me mariant, je suis devenue protestant­e, mais j’ai continué à me rendre à la messe de minuit. Après quelques années j’ai arrêté, car cela fâchait la famille de ma soeur, qui ne fréquentai­t pas l’église. Ils disaient que ça coupait la soirée. Quand Emile vivait encore, il nous lisait une prière, ou un texte pour amener une note spirituell­e à la fête. Depuis qu’il n’est plus là, personne n’a pris la relève. J’avais bien un CD avec des chansons de Noël mais les petits-enfants ont grandi, ça ne les intéresse plus. On a fini par mettre n’importe quelle musique endiablée!

Ce n’est plus très chrétien, il n’y a plus vraiment «d’esprit de Noël», mais ce sont de belles soirées. Il y a cinq ans, Jocelyne a loué une salle et… j’ai fini par danser sur les tables. (Rire.) J’aime beaucoup faire la fête! [Puis, se tournant vers sa fille, Jocelyne]: Tu sais ce qu’on mangera cette année? – Je ne sais pas encore, on est tous végétarien­s maintenant. Peut-être une fondue chinoise au tofu. – Alors je vais être privée de viande?! Je n’aime pas le tofu. – Tu t’achèteras des escargots! – Oui, des escargots. Ou des cuisses de grenouille­s! Mais bon, tu leur diras surtout de ne pas oublier d’acheter du fromage.

Ce n’est plus très chrétien, il n’y a plus vraiment «d’esprit de Noël», mais ce sont de belles soirées. Il y a cinq ans, Jocelyne a loué une salle et… j’ai fini par danser sur les tables

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS)

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