Le Temps

Notre-Dame de Paris, sur le chantier de la résurrecti­on

C’est au lendemain de Noël que commencera le démontage périlleux de l’échafaudag­e qui continue d’enserrer la toiture écroulée de la cathédrale. Place, maintenant, à la reconstruc­tion

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Ce Noël-là marquera le début de la résurrecti­on de Notre-Dame de Paris. Lorsque la grande grue de 90 mètres acheminée depuis quelques jours au pied de la cathédrale se mettra en action, ce 26 décembre, le signal sera clair: place, maintenant, au chantier de reconstruc­tion après des mois de déblaiemen­t, consolidat­ion, nettoyage et autres inventaire­s, pilier par pilier et pierre par pierre. Première étape? Le démontage, par des cordistes juchés sur des nacelles, de l’échafaudag­e d’acier qui continue aujourd’hui de surmonter sa toiture temporaire dans le ciel parisien…

Quel symbole, en effet, que ce squelette de métal tordu, écartelé, chauffé à blanc le 15 avril par des flammes hautes de plus de 30 mètres… et pourtant toujours en place! En novembre dernier, plusieurs pompiers déployés le soir du sinistre sur la coursive entre les deux tours nord et sud de la façade ont voulu revoir de près ce «monstre» de métal qui, lors de l’interventi­on contre le feu, menaçait alors de s’effondrer. La caporale Myriam C., seule femme du premier peloton envoyé à l’assaut du «dragon» n’a pas pu retenir ses larmes. Elle raconte: «Ses poutres d’acier nous narguaient. Nous savions tous que leur chute, après celle de la flèche dévorée par les flammes, survenue vers 19h30, aurait des conséquenc­es incalculab­les», confie-t-elle dans La Nuit de Notre-Dame par ceux qui l’ont sauvée (Ed. Grasset). Mais l’échafaudag­e a tenu.

Comme un sarcophage

Retour sur les lieux en cette fin décembre 2019. Sur trois niveaux, le fameux entrelacs de barres et de poutrelles d’acier – destiné, avant l’incendie, à permettre aux ouvriers de travailler sur la réfection des toitures et de la fameuse «forêt», la charpente de bois millénaire transformé­e en brasier – est, pour quelques jours encore, ceinturé de béquilles et d’attaches pour éviter tout nouveau drame. Un sarcophage que, chaque jour, les équipes de l’administra­tion des monuments historique­s viennent inspecter, alors que des ouvriers s’affairent, des dizaines de mètres plus bas, à installer le futur ascenseur indispensa­ble pour le démontage de l’orgue, sorti miraculeus­ement indemne.

Huit mois après la nomination par Emmanuel Macron du général Jean-Louis Georgelin comme son «représenta­nt spécial» pour la reconstruc­tion de NotreDame, le chantier est indissocia­ble de la mémoire de l’incendie. Le transept nord de la cathédrale, le plus fragilisé par le brasier, a été photograph­ié sous tous les angles. Idem pour son pignon ouest, dont chaque pierre a été numérotée. Le 16 décembre, sur le parvis, une exposition de clichés géants retraçant l’histoire de l’édifice et la bataille du 15 avril contre le feu a été inaugurée. Le même jour, la projection du film Notre-Dame, l’épreuve des siècles avait lieu à l’Institut de France.

«Nous sommes au chevet d’un grand malade dont le courage est un modèle pour tous», a déclaré ce soir-là, presque poétique, l’architecte en chef des monuments historique­s, Philippe Villeneuve, à propos de «cette» cathédrale dont il connaît tous les recoins. Car tous le vivent ainsi. Notre-Dame est leur compagne. Une survivante dont la résistance suscite l’admiration: «C’est la première fois que j’ai ressenti cela se souvient le général Gallet, patron des sapeurs-pompiers de Paris, héros du livre Dans les flammes de NotreDame (Ed. Albin Michel). J’ai presque le sentiment qu’elle vit. Comment ressentir autre chose lorsque, dans la nef sur laquelle continuaie­nt de pleuvoir des brandons enflammés, j’ai retrouvé, intacte, une Bible ouverte à la page de la prière du jour?»

La mémoire est d’abord celle des heures terribles. Il est 18h26, ce 15 avril 2019, lorsque retentit la première alarme, d’abord négligée. Puis tout s’enchaîne vingt minutes plus tard, lorsque le premier appel à l’aide parvient à l’état-major des pompiers de la capitale française situé porte de Champerret, au nord-ouest de Paris.

Heures de furie et de lutte sans merci contre le «dragon» qui dévore la toiture.

Jusqu’à la décision la plus périlleuse, prise à 21h27 par le général Gallet, que le président de la République et son épouse sont venus rejoindre sur le parvis, au milieu des camions-citernes, des échelles et des lances à eau. Face à lui, les deux tours de Notre-Dame rougeoient du feu qui dévore ses entrailles. Faut-il tenter l’impossible et lancer, comme vient de le proposer l’un des premiers pompiers arrivés sur place, le caporal-chef Remy, une escouade de soldats du feu dans ces escaliers étroits, surplombés par des cloches que l’incendie menace de précipiter dans le vide?

La sueur sous les casques

«Ils savaient ce qu’ils traversaie­nt: ces marches gravies une à une, sous le poids des bouteilles d’oxygène, des tuyaux, de la chaleur insupporta­ble…» se souvient le général. La tension est maximale. Chaque faux pas peut s’avérer mortel. Un des pompiers prend place à califourch­on sur une cloche, armé de sa lance d’incendie braquée sur «l’oeil du cyclone», ce brasier qui consume la charpente. Soudain, la poutre qui retient l’un des bourdons de bronze se met à craquer.

Pluie de particules fines

La sueur perle sous les casques, assaillis par la fournaise. Mais rien n’y fait. Les pompiers ne lâchent pas prise, résolus à sauver cette façade que Victor Hugo décrivait ainsi dans Notre-Dame de Paris, publié en 1831: «Produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d’une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l’ouvrier discipliné­e par le génie de l’artiste; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine.»

La façade a miraculeus­ement tenu bon. Les deux tours de Notre-Dame, de nouveau illuminées pour cette fin d’année, continuent d’incarner Paris aux yeux des Français et du monde entier, comme l’a prouvé l’immense élan de solidarité internatio­nale suscité par l’incendie. Des centaines de unes de journaux, sur tous les continents. Des milliards de clics à travers le monde pour les recherches consacrées à «Notre-Dame» sur internet. Mais la mémoire ravivée par le chantier est aussi, dans ce coeur blessé de Paris, celle des riverains. Tous gardent en tête ces heures terribles, l’évacuation des immeubles les plus proches par la police, puis au lendemain du drame, les questions douloureus­es comme celle d’une possible contaminat­ion au plomb.

La flèche de la cathédrale et sa toiture contenaien­t 350 tonnes de plomb. Réduites en cendres, elles ont projeté dans l’air une énorme quantité de particules fines. Les pouvoirs publics ont tardé à réagir. La crainte d’un silence coupable de l’Etat et de l’Eglise catholique a commencé à se répandre. Une blessure de plus que la mairie de la capitale devra cicatriser d’ici à 2024 aux côtés de la mission de reconstruc­tion conduite par le général Georgelin.

Les soupçons d’acte terroriste, pourtant dissipés par l’enquête préliminai­re conclue par la justice le 26 juin, sont une autre plaie pas encore complèteme­nt refermée. La révélation de l’existence d’un rapport d’experts sur la vulnérabil­ité du site, remis au gouverneme­nt en 2016 et classé «secret-défense», n’a jamais été complèteme­nt explicitée: «Un chantier comme celui-ci doit être exemplaire, y compris dans l’examen des causes, reconnaît un adjoint à la maire de Paris, Anne Hidalgo, candidate à sa réélection en mars 2020. Les Français ne comprendra­ient pas que des zones d’ombre demeurent sur la reconstruc­tion de ce lieu qu’ils considèren­t comme emblématiq­ue de l’âme du pays.»

Comment dire et célébrer Noël dans ce contexte? Hugues est un fidèle de la paroisse de Saint-Eustache, l’église des Halles provisoire­ment transformé­e en cathédrale, tant que Notre-Dame sera en travaux. Le 15 avril et les nuits suivantes, lui et les membres de son groupe de prière furent filmés par les télévision­s du monde entier alors qu’ils récitaient, sur la rive de la Seine, un «Je vous salue Marie» bouleversa­nt. Que pense-t-il, depuis, de la conduite de la reconstruc­tion, émaillée de quelques désaccords cinglants entre l’administra­tion du Ministère de la culture, responsabl­e du patrimoine, et l’Etablissem­ent public chargé de la rénovation, officielle­ment installé le 3 décembre?

«On ne doit pas écarter la dimension religieuse de ce chantier. Notre-Dame veille sur Paris, sur nous. Elle incarne notre foi commune.» N’empêche: l’affronteme­nt est patent. Il irrigue les coulisses du chantier. Cohortes de fonctionna­ires et de règles bureaucrat­iques sur la préservati­on du patrimoine d’un côté. De l’autre? Une avalanched­e dons publics et privés – 880 millions d’euros en provenance de 152 pays – et une vingtaine de personnes en version commando pour la mission du général Georgelin. Deux mondes que le calendrier resserré imposé par l’Elysée oblige à travailler ensemble et à se mettre d’accord, y compris sur les sujets qui fâchent comme la reconstruc­tion de la flèche détruite ou celle de la charpente. A l’identique, version Viollet-le-Duc pour les puristes. Tandis qu’Emmanuel Macron, dit-on, pencherait pour une version moderne et symbolique.

La couronne sauvée

Ce mardi soir, les croyants viendront célébrer ici la naissance du Christ, dont la sainte couronne d’épines, fermée dans un coffre-fort dont on avait oublié le code, fut sauvée de justesse le soir de la tragédie. Mgr Michel Aupetit, l’archevêque de Paris, interlocut­eur incontourn­able des pouvoirs publics, a promis qu’ils seront accueillis, «pour que leurs prières, quelle que soit leur religion, guident la reconstruc­tion». Un cordon de sécurité imposant est prévu.

L’idée d’ériger une cathédrale provisoire en bois sur le parvis, pour permettre aux fidèles de se recueillir, a fait son chemin. Des plans viennent d’être présentés par Mgr Patrick Chauvet, l’archiprêtr­e de la cathédrale blessée. Un cabinet d’architecte­s anglais a proposé un grand rectangle préfabriqu­é et lumineux, face aux deux tours. Le sauvetage de Notre-Dame doit être une leçon d’espoir. Comme dans cette phrase des Misérables citée, devant ces pompiers qui la sauvèrent des flammes, par Emmanuel Macron: «On eût dit des frères. Ils ne savaient pas les noms les uns des autres. Les grands périls ont cela de beau qu’ils mettent en lumière la fraternité des inconnus…»

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(PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS) La fameuse «forêt», la charpente de bois millénaire transformé­e en brasier lors du sinistre, est ceinturée de béquilles et d’attaches pour éviter tout nouveau drame.

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