L’histoire du HMS Terror, bateau fantôme surgi du passé et figé à jamais dans les glaces de l’Arctique
Localisée en 2016, l’épave du HMS Terror, fleuron de la marine britannique perdu dans l’Arctique canadien en 1846, a récemment livré ses premières images. Plongée au coeur de cette tragédie retentissante, qui a coûté la vie à 129 marins
C’est un bateau fantôme surgi du passé. Figé à jamais dans les sédiments glaciaux de l’océan Arctique, le HMS Terror, disparu en 1845, a commencé de livrer ses secrets. Des archéologues de l’agence gouvernementale Parcs Canada ont dévoilé cet été les premières images de cette épave britannique récemment localisée au sudouest de l’île du Roi-Guillaume, dans l’archipel du Grand Nord canadien.
A l’abri de la décomposition dans sa gangue d’alluvions, le Terror est resté dans un état de conservation exceptionnel. Tournées avec un drone sous-marin, les séquences vidéo montrent fusils, bouteilles de vin, bureaux, couchettes et autres éléments de mobilier utilisés par les marins ayant vécu à bord, tout comme la barre à double roue et même l’emblématique cloche de quart servant à rythmer les activités de l’équipage – une des pièces les plus précieuses puisque gravée du nom du vaisseau.
La découverte de cette épave a déjà poussé les scientifiques à reconsidérer certains événements ayant mené à sa perdition. Mais les fouilles ne sont pas terminées. Derrière la porte close des quartiers du capitaine, ils espèrent mettre la main sur de précieux documents leur permettant de résoudre enfin le mystère de ce naufrage, une énigme vieille de 170 ans mêlant exploration, survie, légendes inuites et soupçons d’anthropophagie.
8000 boîtes de conserve
Le voyage du HMS Terror et de son vaisseau amiral le HMS Erebus, formant tous deux l’expédition Franklin, fut un complet désastre. Avec la disparition de 129 membres d’équipage, sans aucun survivant, il s’agit du plus lourd bilan déploré par Royal Navy pour une mission d’exploration. C’est également l’un des plus épais mystères de l’exploration polaire: comment ces fleurons de la marine britannique avaient-ils pu disparaître malgré la remarquable préparation de l’expédition? Et, surtout, où étaient-ils passés?
Les nombreuses missions de sauvetage sont revenues bredouilles ou presque, et des générations d’historiens et d’aventuriers s’y sont cassé les dents au XXe siècle. Autant de questions passionnantes ayant inspiré récits, romans, chansons, et même une série télévisée.
Partie d’Angleterre en mai 1845, l’expédition Franklin a pour objectif de localiser le passage du Nord-Ouest, hypothétique voie maritime censée relier les océans Atlantique et Pacifique. La Royal Navy ne lésine pas sur les moyens. L’Erebus et le Terror, robustes bâtiments d’artillerie réassignés à l’exploration polaire,
Comment deux fleurons de la Royal Navy si bien préparés avaient-ils pu disparaître sans laisser de traces?
constituent sa vitrine technologique. On leur adjoint des moteurs de locomotive fournissant une propulsion d’appoint, et leurs coques sont renforcées de plaques de métal les aidant à naviguer dans le pack, débris de banquise flottants.
Bien que spartiates, les conditions de vie à bord sont plus confortables que la moyenne: les moteurs à vapeur fournissent du chauffage dans les ponts inférieurs. Chaque navire dispose d’une bibliothèque de plus de 1000 livres. Leurs cales sont pleines à craquer: 8000 boîtes de conserve, 24 tonnes de viande, 35 de farine, sans compter les indispensables 7500 litres d’alcool ainsi que 2 tonnes de tabac font partie des victuailles.
Le commandement de l’expédition est confié à Sir John Franklin, officier de marine, vétéran de Trafalgar, plusieurs expéditions polaires à son palmarès. Sous ses ordres, deux capitaines, James Fitzjames sur l’Erebus et Francis Crozier sur le Terror.
Après un voyage sans histoire vers l’archipel canadien, les deux vaisseaux sont aperçus en août 1845 par des pêcheurs européens en mer de Baffin, entre le Groenland et le Canada. On ne les reverra plus à flot. Une année passe. Puis deux. L’expédition a beau être partie avec deux à trois ans de provisions, l’inquiétude finit par l’emporter, les recherches démarrent en 1848. Elles se succèdent, nombreuses: pas moins de 55 missions seront lancées! Toutes restent infructueuses jusqu’en 1850 avec la découverte de trois tombes de marins de l’expédition Franklin enterrés lors du premier hiver, fin 1845, sur l’île Beechey, bien plus à l’ouest de la dernière position connue de l’Erebus et du Terror.
Un message capital
En 1854, des témoignages concordants d’Inuits sèment le trouble. Ils rapportent la présence, aux alentours de 1850, d’un groupe d’une trentaine d’hommes blancs morts de faim sur la côte septentrionale du continent, soit très loin au sud de l’île Beechey. L’explorateur John Rae, qui les consigne, constate que les autochtones possèdent des montres, longues-vues et autres effets cassés ayant appartenu à l’équipage, qu’il rachète. Parmi ces reliques, une cuillère ronde en argent sur laquelle est gravé le nom de John Franklin.
Les Inuits évoquent également un lieu où aurait coulé un grand navire en bois, mais tellement loin lui aussi de l’île Beechey qu’on n’y accorde guère de crédit. Ils affirment en outre que les marins pratiquaient l’anthropophagie, impensable pour des sujets de la couronne d’Angleterre. Pas décidée à en apprendre davantage, la Grande-Bretagne déclare la même année l’expédition perdue et arrête les frais.
Mais cela n’empêche pas Jane Griffin, la riche épouse de John Franklin, de poursuivre les recherches. Bien lui en prit, car une découverte capitale a lieu en 1859. Dans un cairn situé sur une côte de l’île du Roi-Guillaume, à 675 kilomètres au sud de l’île Beechey, Francis Leopold McClintock met la main sur une note laissée là par l’équipage. Elle contient deux messages. Le premier est daté du 28 mai 1847. Il relate l’immobilisation, lors du deuxième hiver (en 1846), de l’Erebus et du Terror, piégés dans les glaces au nord de l’île. L’officier qui le signe conclut: «Tout va bien.»
Le second, griffonné à la hâte dans les marges et daté du 25 avril 1848, est autrement plus désespéré. Il mentionne la mort de Franklin et de 23 autres marins, ainsi que l’abandon des deux bâtiments. Les officiers disent mener les 105 survivants vers le sud, à la recherche de la civilisation. Un périple inhumain, à pied dans les désolations gelées.
Le puzzle s’assemble: de l’île Beechey, l’expédition se serait dirigée vers l’île du Roi-Guillaume, au nord de laquelle elle aurait hiverné fin 1846. Un terrible hiver plus tard, sans doute face à l’amenuisement de ses réserves, l’équipage se serait lancé dans une fatale entreprise terrestre. Les nombreux vestiges et ossements retrouvés sur leur trajet durant le XXe siècle ont confirmé et précisé ce scénario.
Les marins sont morts de faim, du scorbut, d’empoisonnement au plomb probablement dû à une mauvaise qualité de leurs boîtes de conserve. Les vestiges les plus éloignés du cairn ont été retrouvés juste au sud de l’île du Roi-Guillaume, dans un endroit inhospitalier nommé la Crique de la famine.
Sauf qu’un élément cloche: on ne trouve aucune trace des épaves aux coordonnées soigneusement précisées sur le message du cairn. Certains pensent qu’elles ont été broyées par le pack, les débris dispersés par les courants.
Mais cela ne convainc pas tout le monde, si bien que des campagnes furent menées jusqu’à aujourd’hui. Les plus récentes, effectuées au sonar et au lidar (un instrument de cartographie par laser) par Parcs Canada et l’Arctic Research Foundation (ARF), ont permis de retrouver le HMS Erebus en 2014, et le HMS Terror en 2016. Etrangement, les vaisseaux sont situés à une centaine de kilomètres au sud de leur position d’immobilisation: le Terror sur la côte sud de l’île du Roi-Guillaume, dans la baie de la Terreur, l’Erebus un peu plus au sud encore, près du continent américain dans le golfe de la Reine-Maud. Peu accessibles malgré leur immersion peu profonde, les épaves ont toutefois déjà livré des informations aussi troublantes que capitales, qui poussent à reconsidérer la fin de l’expédition Franklin.
Les Inuits avaient raison
Ainsi l’épave du Terror gît à l’horizontale, ce qui suggère qu’il a coulé lentement et régulièrement, et non broyé par le pack comme supposé. Bien qu’il semble en grande partie vidé et verrouillé, une ancre semble avoir été déployée, signe qu’il n’était pas totalement abandonné. Et si les bateaux avaient été investis par certains marins restés à bord, dans une manoeuvre désespérée pour le ramener dans les eaux méridionales plus clémentes? Là, ils auraient abandonné le Terror puis seraient montés sur l’Erebus, mettant le cap vers le sud et leur destin tragique.
Outre ces éléments nouveaux, dont débattent actuellement les experts, la découverte des deux épaves rappelle également la validité des témoignages inuits: l’Erebus se trouvait exactement là où ils l’affirmaient depuis le début, parlant d’un grand navire en bois dont les mâts dépassaient de l’eau – ce qu’aucun Occidental n’a pris la peine de vérifier. Auparavant, leurs dires concernant les actes d’anthropophagie qu’ils rapportaient avoir vus avaient également été confirmés en 1997, à la suite de la découverte de marques révélatrices sur des ossements. Ils sont aujourd’hui étroitement associés aux recherches archéologiques dans la région.
■