Le Temps

Victoire d’étape pour une transparen­ce accrue dans le négoce

MATIÈRES PREMIÈRES Une clause permettant au Conseil fédéral d’exiger des sociétés de trading qu’elles publient leurs paiements aux Etats riches en ressources naturelles a été votée la semaine dernière. Le point sur un long combat

- RICHARD ÉTIENNE @RiEtienne

Dans le long combat pour davantage de transparen­ce dans le secteur des matières premières, et en particulie­r les paiements des entreprise­s aux gouverneme­nts des pays riches en ressources naturelles, les ONG ont remporté une bataille jeudi à Berne. Une «norme de délégation» a été acceptée, par 107 voix contre 78, au Conseil national, dans le cadre du projet de révision du droit sur la société anonyme. Une victoire d’étape qui révèle à quel point la lutte contre l’opacité dans le monde du trading est difficile.

Avec cette norme, le Conseil fédéral pourra décider que si d’autres pays contraigne­nt les négociants à publier leurs paiements aux Etats riches en matières premières, alors en Suisse cela devra être le cas aussi. Cette clause sera activable si le parlement adopte le projet de révision du droit de la société anonyme l’année prochaine.

Deux incertitud­es demeurent

Une position jugée attentiste pour la première place mondiale du négoce mais tout de même saluée par les ONG. «On a grappillé un point qui permettra peutêtre à l’avenir de mieux encadrer le secteur, estime Adrià Budry

Carbó, enquêteur chez Public Eye. Si la norme avait été refusée, la Suisse aurait complèteme­nt raté le train de la transparen­ce.» Deux incertitud­es demeurent, selon Marc Ummel, enquêteur chez Swissaid: «Le texte ne dit pas si cette clause sera reprise si seul un pays l’adopte et il n’est pas contraigna­nt, il dépend du bon vouloir de Berne.»

«Le Conseil fédéral peut [ndlr: et non doit], dans le cadre d’une procédure harmonisée à l’échelle internatio­nale, décider que les obligation­s […] s’appliquent également aux entreprise­s actives dans le négoce», peut-on en effet lire dans le projet de loi. Ces obligation­s portent sur une publicatio­n annuelle des paiements au profit de gouverneme­nts (des autorités communales aux sociétés d’Etat), dans un rapport spécifique. On notera au passage que les Etats-Unis et l’Union européenne doivent réviser leur réglementa­tion sur la transparen­ce en 2020.

Pendant longtemps, la Suisse n’avait pas de loi sur la transparen­ce dans le secteur, ce qui va changer pour les sociétés actives dans l’extraction. Mais pas dans le trading. Les ONG soulignent depuis une décennie qu’il n’y a presque que des négociants en Suisse et qu’un texte ciblant les extracteur­s passerait à côté de sa cible. Seules quatre entreprise­s, sur les 544 qu’a recensées Public Eye en 2017, seraient concernées par cette révision, selon l’organisati­on.

La société civile demande plus de transparen­ce afin de lutter contre la corruption, qui serait endémique. L’opacité ne permet pas à la population des pays producteur­s de vérifier que les sommes versées par le secteur privé alimentent bien les caisses publiques. Ces sommes sont vite gigantesqu­es. Entre 2011 et 2013, les négociants suisses ont payé 55 milliards de dollars à des gouverneme­nts africains pour des livraisons de pétrole, selon Public Eye et Swissaid. Soit 12% des revenus des Etats en question.

Combat sur plusieurs fronts

Le combat est mené sur plusieurs fronts. Lancée en 2003, l’Initiative pour la transparen­ce dans les industries extractive­s (ITIE) en est le principal acteur. L’organisati­on norvégienn­e part du principe que les ressources naturelles d’un pays appartienn­ent à ses citoyens et exige de ses membres (des pays ou des sociétés) qu’ils publient leurs paiements. Les groupes suisses Trafigura, Glencore, Gunvor et Philia jouent le jeu mais d’autres, comme des groupes russes, américains ou le genevois Vitol, n’y adhèrent pas. L’ITIE repose sur une base volontaire.

Les montants payés aux gouverneme­nts par les négociants, comme Trafigura, pour l’achat de matières premières peuvent être largement supérieurs à ceux déboursés par Shell ou BP pour l’extraction, a révélé cet été l’Institut de gouvernanc­e des ressources naturelles (NRGI), une organisati­on américaine, dans une étude basée sur des données de l’ITIE.

Quant à l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE), elle s’inquiète aussi de la faiblesse du dispositif anti-blanchimen­t de la Suisse et de ses négociants. Elle devrait publier un rapport sur la question l’an prochain. ▅

 ?? (LUC GNAGO/REUTERS) ?? Première place mondiale du négoce des matières premières, la Suisse progresse lentement sur la voie de la transparen­ce dans ce secteur.
(LUC GNAGO/REUTERS) Première place mondiale du négoce des matières premières, la Suisse progresse lentement sur la voie de la transparen­ce dans ce secteur.

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