Une «Belle Hélène» désopilante
L’Opéra de Lausanne présente l’opéra-bouffe d’Offenbach dans une mise en scène pleine de couleurs et de clins d’oeil au théâtre classique. Belle distribution emmenée par le jeune chef Pierre Dumoussaud
Splendeur des costumes, clins d’oeil au théâtre classique, délire des situations: La Belle Hélène à l’Opéra de Lausanne est une réussite. Dans l’opéra-bouffe d’Offenbach, calqué sur les personnages de l’Antiquité, rois et reine sont les jouets de la déesse Vénus; Hélène subit l’aiguillon du désir; la guerre de Troie pointe le bout de son armure à la fin de l’opéra-bouffe, au moment où le jeune berger Pâris enlève la belle reine de Sparte sous les yeux de son mari ébahi, le fadasse Ménélas.
Michel Fau, à la fois metteur en scène et comédien (il campe Ménélas), a bien saisi l’esprit de cette bouffonnerie. Auréolée de succès dès sa création au Théâtre des Variétés en 1864, La Belle Hélène d’Offenbach tend un miroir à la société du Second Empire. C’est son deuxième grand opéra-bouffe après Orphée aux enfers, qui raille les travers des contemporains en prenant pour cadre l’Antiquité grecque.
Rien que la scénographie (signée Emmanuel Charles) campe déjà le décor. Sur une grande place qui tient lieu d’agora s’érige en fond de scène un temple grec aux colonnes dangereusement obliques. De grands édifices et avenues évoquant le Paris de Haussmann indiquent que l’action se passe – comme en contrepoint – dans les années 1860. On navigue entre ces deux époques dans un décor aux lignes de fuite exagérées. Les perspectives sont faussées, à l’image de ces photos que l’on prend avec son smartphone au pied des bâtiments historiques.
De toute évidence, ce décor en trompel’oeil et fausses perspectives, assorti d’une touche rococo, reflète une Grèce décadente et bancale où les rois ont perdu toute dignité. La famille des Atrides n’est plus qu’une galerie de personnages comme sortis d’un vieux décor de théâtre, costumes extravagants aux plumes colorées, surmaquillés. Le gros effort porté sur les tenues (robes à panier, robe à cerceau) contraste avec des figurants féminins et masculins comme sortis d’une revue chic (Vénus et Adonis), aux silhouettes impeccables dans leur plus simple appareil.
Mais tout se joue dans l’esprit d’Hélène. Tiraillée entre son devoir d’épouse et l’appel du désir, la reine de Sparte (Julie Robard-Gendre, au port élégant, à la belle prestance) en devient un personnage tragique, victime de la «fatalité». Le berger Pâris (Julien Dran, fin, élancé, au look de post-ado avec ses cheveux blonds ébouriffés) en profite pour la tenter. Le jeune homme s’immisce dans un rêve qui qui n’est autre que la réalité! Ménélas enrage lorsqu’il les surprend en flagrant délit de proximité.
Un enfer d’oisiveté
A ce tableau satirique d’une Grèce devenue un enfer d’oisiveté, Michel Fau ajoute sa propre parodie. Poses compassées, gestuelle démodée, attitudes faussement inspirées: c’est une critique féroce des conventions du théâtre classique. Aidé d’un souffleur au début du troisième acte, le roi Ménélas (que campe Michel Fau, donc) échoue à dire ses répliques. On assiste à un joyeux mélange de références, du théâtre rococo au ton mélodramatique de la grande tragédie. Les dialogues parlés sont retravaillés: si l’orchestre joue «faux», c’est parce que ce sont des «instruments d’époque»… Michel Fau fait allusion à la poupée Olympia dans l’un des airs d’Hélène et a même glissé des citations musicales tirées de Carmen de Bizet!
Encore fallait-il une troupe soudée pour servir la farce d’Offenbach et ses géniaux librettistes Halévy et Meilhac (auteurs également de Carmen). Michel Fau peut compter sur le Pâris frais et alerte de Julien Dran, voix claire, bien timbrée, à l’aise quand celui-ci passe en voix de tête. Julie Robard-Gendre possède une voix aux couleurs mordorées, graves sombres et envoûtants; à son vibrato serré s’ajoute une diction un peu pâteuse qui ne facilite pas toujours la compréhension du texte.
Idéal pour les Fêtes
Excellent Jean-Claude Sarragosse, très bon comédien et chanteur en Calchas. Paul Figuier truque sa voix dans un registre de fausset pour chanter Oreste. Christophe Lacassagne campe bien le personnage d’Agamemnon engoncé dans son titre de «roi des rois». Michel Fau lui-même compose un Ménélas falot, ridicule avec sa toge (qui tombe à un moment donné), ses assauts d’autorité et sa voix un peu pâle.
Les Choeurs de l’Opéra de Lausanne sont remarquables de justesse, mis en valeur par les costumes pleins de fantaisie de Diane Belugou. Le chef Pierre Dumoussaud privilégie des tempi vifs à la tête du Sinfonietta de Lausanne. La direction d’orchestre est enlevée, alerte, mais entachée de quelques imprécisions, sans l’once de suavité mozartienne qui appartient aussi à l’univers d’Offenbach. Un spectacle délirant, idéal pour les Fêtes, qui culmine dans un dernier acte irrévérencieux où l’on voit débouler deux grandes génisses blanches sur scène!
■ «La Belle Hélène» à l’Opéra de Lausanne. Jusqu’au mardi 31 décembre. opera-lausanne.ch