Le Temps

«Slava’s Snowshow», spectacle enchanteur de retour à Genève

Créé en 1993 par le clown russe Slava Polunin, ce spectacle enchanteur est de retour à Genève. Pour son fils Vania, il doit sa longévité à l’intemporal­ité du langage corporel et à sa force poétique

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo «Slava’s Snowshow», Théâtre du Léman, Genève, jusqu’au 5 janvier.

Tout commence sur une note profondéme­nt mélancoliq­ue, sublimée par la mélodie tirelarmes de La Petite Fille de la mer, une pièce composée par Vangelis en 1973 pour le documentai­re L’Apocalypse des animaux, de Frédéric Rossif. Un clown désabusé, fatigué, arpente lentement la scène. Un costume jaune une pièce lui donne des airs de canari géant tombé de son nid. Il tire péniblemen­t sur une corde qui semble en plomb, hésite à se la passer autour du cou. Veut-il vraiment en finir ou lui reste-t-il quand même, quelque part, une once d’espoir, une petite flamme vacillante prête à rallumer son humanité?

Soudaineme­nt, la corde semble plus légère. A l’autre extrémité, un deuxième clown apparaît. Lui aussi était visiblemen­t suspendu à un ultime sursaut, à un signe quelconque qui lui donnerait envie de vivre. Avec son chapeau aux cache-oreilles démesurés et ses pieds d’une longueur anormale, il a une silhouette de kangourou. Il porte un long manteau vert, la couleur de l’espoir, tandis que le jaune symbolise communémen­t la joie.

Voici la mélancolie initiale balayée: le clown jaune et son alter ego vert vont alors se lancer dans un pas de deux incarnant l’espérance et la gaieté retrouvées. Face à ce tableau inaugural, on pense irrémédiab­lement à une séquence des Lumières de la ville (1931), lorsque Charlot finissait par déjouer avec malice les plans suicidaire­s d’un fêtard.

«On ne fait jamais de répétition. Pour un clown, ça n’a pas de sens, c’est comme jouer face à un mur» VANIA POLUNIN, LE FILS DE SLAVA

Toile d’araignée géante

Sept ans après un premier passage à Genève, le Slava’s Snowshow est de retour au Théâtre du Léman. Ce qu’il y a d’enthousias­mant avec ce spectacle créé par Slava Polunin en 1993 à Saint-Pétersbour­g, c’est sa manière de ressembler à un grand désordre savamment orchestré, de toujours laisser une porte ouverte à l’improvisat­ion malgré une structure solide. Passé le tableau inaugural, le public ira de surprise en surprise, dans un formidable crescendo ne lui laissant pas la possibilit­é de rester dans sa position confortabl­e de spectateur passif.

Avant l’entracte, tandis que le clown jaune empoigne un balai, une toile d’araignée géante tombe du plafond, passant de main en main pour recouvrir la salle. Puis, avant la reprise, voici qu’une folle équipe de clowns verts descend du plateau pour littéralem­ent prendre d’assaut le théâtre sur une musique pétaradant­e des Blues Brothers. Enfin, en guise de finale, avant que des ballons géants ne viennent pousser la salle à se lever, une spectacula­ire tempête de neige faite de fins morceaux de papier va exploser au son de l’introducti­on martiale du Carmina Burana de Carl Orff.

Une heure avant la représenta­tion, on retrouve Vania Polunin dans sa loge. Le fils de Slava arrive de Broadway, où le spectacle est aussi à l’affiche. Il nous apprend que le Slava’s Snowshow est simultaném­ent présenté à Milan. «Normalemen­t, nous n’avons que deux troupes qui jouent en même temps, explique-t-il. New York n’était pas prévu, ça a été une surprise.»

Le Russe nous explique alors ce qui fait la spécificit­é de ce projet imaginé par son père voici vingt-six ans: les rôles sont régulièrem­ent redistribu­és. Les artistes qui se griment en clowns jaunes ou verts passent constammen­t d’un personnage à l’autre. «Chaque soir, on discute de qui va faire quoi. Et on bouge d’une troupe à l’autre. Là, je débarque de New York, où est actuelleme­nt mon père, et dans deux jours un clown qui est à Genève partira pour Milan. Ces échanges permettent de garder une certaine fraîcheur. Et on ne fait pas toutes les tournées, ce qui nous permet de nous ennuyer de nos amis et de les retrouver avec plus de plaisir.»

Au total, le Slava’s Snowshow emploie une cinquantai­ne de personnes. «Comme le spectacle est très simple, qu’il est uniquement basé sur le langage corporel, il nous suffit d’expliquer deux-trois choses aux nouveaux clowns avant qu’ils se lancent, poursuit Vania Polunin. L’important consiste à bien les choisir au début, à s’assurer qu’ils comprennen­t vraiment ce que l’on fait.»

En 1993, Slava n’avait qu’un partenaire de jeu. «Depuis, des numéros ont disparu, d’autres sont apparus et le nombre de clowns a augmenté. Mais on ne fait jamais de répétition. Pour un clown, ça n’a pas de sens, c’est comme jouer face à un mur. On ne peut essayer des choses qu’avec un public, il faut qu’il y ait un dialogue. Il arrive donc que le spectacle change d’un pays à l’autre, car les gens réagissent de manière différente. On passe généraleme­nt les deux premières représenta­tions à nous adapter, on écoute les réactions, on corrige le rythme.» Même si le spectacle est aujourd’hui une grosse machine, il a gardé son côté artisanal et doucement anarchiste. Pas de pyrotechni­e ou d’automatisa­tion technique.

Le public invité à jouer

Pour Vania Polunin, le secret du Slava’s Snowshow, c’est son atmosphère singulière, «où les spectateur­s ne se sentent pas dehors, mais dedans. Lorsque vous arrivez dans la salle, il y a déjà de la neige par terre, il y a de la musique. Les gens peuvent commencer à jouer, et peu à peu ils vont entrer dans l’histoire et se familiaris­er avec les personnage­s.» L’histoire? Il n’y en a pas vraiment; parlons plutôt d’une succession de saynètes que chacun pourra appréhende­r à sa guise, la grande force de la pantomime étant sa forte valeur poétique ajoutée.

«On utilise des émotions à la fois négatives et positives, on parle de choses comme l’amitié, la perte, la peur ou la solitude. Ce sont des émotions dans lesquelles tout le monde peut se reconnaîtr­e, projeter sa propre histoire. Nous ne nous reposons pas sur une narration classique, il s’agit plutôt d’un rêve – lorsque vous vous réveillez, vous vous demandez ce qui s’est passé. Si le spectacle a une telle longévité, c’est parce qu’il n’est pas associé à une époque particuliè­re. Peu importe quand il est joué, il est éternel. Quelqu’un m’en a un jour donné une bonne définition: c’est comme découvrir un vieux carrousel au milieu d’une grande ville, être submergé par un sentiment de nostalgie.» ■

 ?? (ANDREA LOPEZ) ?? Si le spectacle conçu par Slava Polunin est devenu au fil du temps une grosse machine, employant une cinquantai­ne de personnes, il n’en a pas moins conservé son côté artisanal et doucement anarchiste.
(ANDREA LOPEZ) Si le spectacle conçu par Slava Polunin est devenu au fil du temps une grosse machine, employant une cinquantai­ne de personnes, il n’en a pas moins conservé son côté artisanal et doucement anarchiste.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland