En Norvège, l’armée de l’égalité
La Norvège est le premier pays européen à avoir étendu le service militaire obligatoire aux femmes. Dans les faits, la participation aux forces armées se fait plutôt sur une base volontaire et la gent féminine représente déjà 29% des troupes
REPORTAGE Afin que l’armée reflète davantage la société, la Norvège est devenue le premier pays européen à avoir étendu le service militaire obligatoire aux femmes
■ Les troupes comptent 29% de femmes, recrutées en fait sur une base volontaire. L’objectif est d’arriver à 40% en 2020
«Pas besoin d’être un homme pour savoir tirer convenablement. L’armée moderne n’est plus une question de force physique», c’est ainsi qu’Elise, 22 ans, entame son récit sur son année de service militaire à Bardufoss, à 1700 km au nord d’Oslo.
A 19 ans, la Norvégienne, en passe de devenir éducatrice spécialisée, a quitté son petit village près de Bergen pour vivre une expérience qu’elle recommande aujourd’hui à n’importe quelle jeune fille. En 2015, l’armée du pays prenait un virage drastique et pionnier en Europe en rendant le service militaire obligatoire pour les hommes et les femmes. Elise fit donc partie de la première volée de recrues aux couleurs plus égalitaires. Avec le privilège d’avoir des équipements tout neufs. Elle raconte en détail son recrutement.
Cochez «non» et vous ne serez jamais appelés
«Avant cela, les filles qui le souhaitaient pouvaient faire une demande explicite pour prendre part au service militaire, comme chez vous j’imagine. Mais depuis 2015, tous les garçons et les filles norvégiens, lorsqu’ils atteignent leur majorité, reçoivent le même e-mail. On leur demande s’ils souhaitent remplir leurs obligations militaires, en cochant «oui», «non» ou «je ne sais pas». Si vous cochez non, vous ne serez jamais appelé car l’armée ne choisit que les gens motivés, et qu’il y a pour l’instant trop de demandes par rapport aux places disponibles. Si vous êtes une fille et que vous cochez oui, vous êtes par contre quasi sûre d’être convoquée pour le test d’aptitudes physique et mental. Je me suis entraînée en vue de cette épreuve: course de quinze minutes le plus vite possible, examen de math et de norvégien. Vous indiquez vos préférences: j’ai été placée à la brigade communication, teamleader de mon équipe réseau émetteur radiophonique.»
Elise s’envole alors vers le Grand Nord. Elle n’y connaît encore personne, surtout pas celui qui deviendra son petit ami et avec qui elle habite aujourd’hui. Là-bas, elle partage sa chambre avec deux autres filles et trois garçons. «Vous pouvez demander un dortoir non mixte si vous le préférez, mais ça ne me posait aucun problème.» Durant la journée, aucune distinction n’est non plus faite entre les genres, tous participent au même service militaire.
Un an et c’est tout
Si certaines brigades restent en grande majorité masculines, comme les éclaireurs parachutistes, une volonté existe au sein de l’armée de mélanger les genres dans toutes ses divisions. A l’exception d’une unité de forces spéciales appelée Jegertroppen qui est composée uniquement de filles, de très haut niveau, et qui a fait l’objet d’une émission TV, façon de rendre l’armée féminine plus populaire.
Elise n’avait pas envie d’enchaîner directement son gymnase avec des études universitaires. «J’aurais pu travailler une année et je me serais ainsi fait plus d’argent qu’à l’armée où nous recevons l’équivalent de 500 francs suisses par mois. Mais une fois là-bas, on ne paie ni le gîte ni le couvert, on reçoit des tickets d’avion pour rentrer quelques fois dans l’année à la maison, et on est surtout à bonne école. J’y ai acquis des valeurs qui me seront utiles pour le reste de ma vie.» Elise pense à la discipline, au respect des autres, à la vie en communauté, au dépassement de soi, et aux cours de management et de leadership qu’elle y a suivis. Au bout de cette année, les recrues décident d’elles-mêmes si elles veulent continuer dans l’école d’officier, prendre ainsi part aux activités de l’OTAN ou si elles s’arrêtent là. Dans ce cas, elles ne seront plus jamais rappelées.
Physiquement, il faut être en forme. «Nous allions nous entraîner tous les soirs à la gym après le repas, ce n’était pas obligatoire, mais il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire dans cette ville de 2500 habitants. Durant cette année, je me suis dépassée, et c’était agréable, mais le plus difficile était d’être dehors dans le froid. C’est d’ailleurs pour ça que je ne me suis pas enrôlée.» Parmi ses six supérieurs directs, une seule était une femme. Le machisme présent dans les corps de l’armée a été traité très sérieusement en amont de l’arrivée massive des filles. «Il y a une tolérance zéro pour le harcèlement et le sexisme. Il y a continuellement des formations et des ateliers pour endiguer ces problèmes, et si un soldat dérape avec une remarque ou un geste déplacé, nous devons immédiatement en référer à notre supérieur qui le punira d’une amende et lui demandera de faire des excuses publiques. Mais personnellement, je me suis toujours sentie en sécurité au sein de l’armée.»
Le modèle norvégien attire l’attention jusqu’en Suisse. Dans le rapport du groupe de travail chargé d’examiner le système de l’obligation de servir du 15 mars 2016, on recommande le modèle norvégien parmi les possibilités de développement du système suisse. «En mettant mieux à profit le potentiel des femmes, explique-t-il, ces organisations pourraient remplir leur mission de manière optimale puisqu’elles disposeraient alors d’un nombre suffisant de conscrits pour sélectionner les personnes les plus qualifiées et motivées.» Notons qu’il n’existe pas en Norvège, contrairement à la Suisse, de taxe d’exemption de l’obligation de servir.
La générale norvégienne Kristin Lund a pris sa retraite cette année, elle a pu assister au changement de régime, effectif au 1er janvier 2016. «Nous avons toujours parlé de conscription universelle et obligatoire, alors qu’elle ne concernait véritablement que les hommes en réalité, aujourd’hui c’est différent. Nous sommes toujours dans un système de service militaire imposé, mais comme chaque année 30000 jeunes femmes et 30000 jeunes hommes reçoivent leur invitation à servir et qu’il n’y a que 12000 places, le recrutement se fait auprès des plus motivés, donc dans les faits, la plupart sont volontaires.» Si l’armée a besoin de spécialistes dans des domaines déterminés (mécaniciens, médecins), elle se réserve le droit de les convoquer.
Le problème subsistant, c’est que les recrues féminines choisissent majoritairement les postes dans la communication, les RH ou les services sanitaires, or l’armée les encourage à s’engager également dans l’infanterie, les forces marines ou aériennes. «Un de nos buts est de pouvoir envoyer des femmes en Irak et en Afghanistan, où les hommes ont actuellement des problèmes à communiquer avec l’autre sexe.»
L’armée doit refléter la société
Le service militaire n’a donc pas été rendu obligatoire pour les femmes parce que l’armée serait devenue trop petite si elle n’avait été constituée que d’hommes. Il s’agissait bien plus d’intégrer leur potentiel, afin que l’armée reflète davantage la société. Dernièrement une étude menée auprès des Norvégiens rendait l’armée satisfaisante auprès de 80% de la population. «L’objectif déclaré est de faire passer la proportion actuelle de femmes au recrutement de 29%, à près de 40% en 2020. Et chez les officiers, de 15% à 25%», indique Kristin Lund. La générale assure que les critères de force physique n’ont pas été modifiés. «Une femme, ça pense et agit différemment sur le terrain, et nous avions besoin de ces points de vue dans notre corps militaire.»
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Le machisme présent dans les corps de l’armée a été traité très sérieusement en amont de l’arrivée massive des filles