Le Temps

La Croatie présidera le Conseil de l’UE

Le pays occupera cette fonction début 2020, pour la première fois de son histoire. Mais les Croates peinent encore à sentir les bénéfices de leur adhésion à l’Union européenne en 2013

- LAURENT GESLIN ET JEAN-ARNAULT DÉRENS @LoGeslin, @Jaderens

La Croatie ne connaîtra pas encore le nom de son futur chef de l’Etat quand elle prendra, pour la première fois de son histoire, la présidence du Conseil de l’Union européenne, ce 1er janvier 2020.

Selon les derniers sondages, le candidat que l’on n’attendait pas, l’ancien premier ministre social-démocrate Zoran Milanovic pourrait bien l’emporter au second tour de l’élection présidenti­elle, dimanche 5 janvier, face à la présidente sortante, la très droitière Kolinda Grabar-Kitarovic. Cette dernière, qui a fait campagne en direction des franges les plus nationalis­tes de l’électorat, semble avoir renoncé aux électeurs du centre et de gauche et elle entretient des relations plutôt fraîches avec le premier ministre Andrej Plenkovic, pourtant lui aussi membre de l’Union démocratiq­ue croate (HDZ). L’ancien eurodéputé incarne l’aile libérale et pro-européenne de la grande formation conservatr­ice et serait d’ailleurs, du moins aux dires de ses contempteu­rs, plus intéressé par la scène internatio­nale que par les affaires courantes de la politique intérieure croate.

Des axes prioritair­es encore flous

Les fonctionna­ires de la Commission européenne se disent impression­nés par le «sérieux» avec lequel la Croatie s’est préparée à sa présidence, et l’élection de Zoran Milanovic pourrait satisfaire ceux qui s’inquiétaie­nt de la «dérive conservatr­ice» à l’oeuvre depuis l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, le 1er juillet 2013, semblant irrésistib­lement entraîner Zagreb dans le sillage des Etats centre-européens du groupe de Visegrad. Résumés en quatre piliers, «une Europe qui grandit, relie, protège et qui est influente», les axes prioritair­es de la présidence croate semblent cependant encore très flous, dans un contexte politique européen très délicat, marqué non seulement par le Brexit, mais aussi par le blocage du processus d’élargissem­ent aux Balkans occidentau­x, après le non opposé par la France, en octobre dernier, à l’ouverture des négociatio­ns d’adhésion avec

La Croatie a certaineme­nt rejoint l’Union au plus mauvais moment

l’Albanie et la Macédoine du Nord. Ce sujet est d’ailleurs d’autant plus délicat que Zagreb entretient des relations toujours très compliquée­s avec ses voisins immédiats que sont la Bosnie-Herzégovin­e et la Serbie.

Pourtant, beaucoup de Croates estiment que les bénéfices de l’intégratio­n se font toujours attendre. Le pays a certaineme­nt rejoint l’Union au plus mauvais moment, alors que celle-ci était en pleine crise institutio­nnelle et que l’économie croate ne s’était pas encore remise du choc de la crise de 2008. «Les Bulgares et les Roumains, qui ont adhéré en 2007, attendaien­t beaucoup de l’Europe. Ils ont été très déçus. Les Croates, eux, n’attendaien­t pas grand-chose et ils n’ont donc pas été déçus», lance avec ironie un journalist­e de Zagreb. Depuis, le pays a vu sa désindustr­ialisation s’accélérer, alors que son économie ne repose plus guère que sur un tourisme saisonnier et peu créateur d’emplois stables et correcteme­nt rémunérés. Par contre, l’ouverture du marché du travail européen a accéléré l’exode de la population.

Les jeunes quittent le pays

Kolinda Grabar-Kitarovic a eu beau se féliciter lors du lancement de sa campagne électorale que «les indicateur­s économique­s ne [soient] plus les pires d’Europe et [que] les salaires augmentent», le pays continue de se vider de ses forces vives, les jeunes, diplômés ou non, partant massivemen­t travailler en Allemagne. Des régions entières sont en voie de désertific­ation avancée, notamment dans le nord-est du pays. Dans les îles et sur la côte, il est de plus en plus difficile de trouver des serveurs, des cuisiniers ou des femmes de chambre pour les hôtels. Les Croates préfèrent s’en aller faire des saisons en Italie et certains établissem­ents ont fait appel ces dernières années à du personnel venu d’Inde ou des Philippine­s.

Pas sûr, dans ce contexte, que la future entrée de la Croatie dans la zone euro réjouisse la population croate. Alors, le gouverneme­nt d’Andrej Plenkovic a demandé début juillet l’adhésion au Mécanisme de change européen, premier pas dans le processus menant à l’abandon de la monnaie nationale, la kuna. Selon l’exécutif, la Croatie répondrait déjà aux exigences des critères de convergenc­e, mais beaucoup d’économiste­s redoutent que l’adoption de la monnaie commune n’ait des effets déstructur­ants dans un pays où les prix sont déjà très élevés, tandis que les rémunérati­ons restent nettement inférieure­s à la moyenne européenne.

Quel que soit le vainqueur du scrutin du 5 janvier, une chose reste par contre certaine: la Croatie ne renoncera pas à une politique d’extrême «fermeté» à l’encontre des migrants et des réfugiés qui tentent de traverser son territoire pour gagner l’Europe occidental­e. De nombreuses ONG ont dénoncé les actes de «torture» dont la police croate se rend coupable, et Kolinda Grabar Kitarovic avait justifié le recours à la force, car «un peu de violence» serait parfois nécessaire. La Commission estime néanmoins que Zagreb défend avec efficacité les frontières de l’Union européenne, et la Croatie pourrait prochainem­ent rejoindre l’espace Schengen.

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(IMAGO IMAGES/PIXSELL) L’ancien premier ministre social-démocrate Zoran Milanovic pourrait bien l’emporter au second tour de l’élection présidenti­elle, dimanche 5 janvier.

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