Le Temps

La grève bouleverse le monde culturel parisien

- BÉATRICE HOUCHARD, PARIS @behache3

Alors que les grèves de transports se prolongent en région parisienne, les institutio­ns artistique­s que sont la Comédie-Française et l’Opéra de Paris gardent leur rideau fermé depuis le 5 décembre. Faute de métros et de bus, les autres salles, comme les musées, ne font plus recette

Vers 13h, le 27 décembre, les spectateur­s qui avaient en poche un billet pour La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, ont été informés de l’annulation du spectacle par la Comédie-Française. Ils n’ont pas été étonnés: depuis le début des grèves, le 5 décembre, 30 représenta­tions (sur 34) n’ont pu avoir lieu Salle Richelieu à Paris. Outre La Vie de Galilée, Les Fourberies de Scapin et La Puce à l’oreille ont été victimes de la grève. A chaque annulation, il en coûte 20000 euros à la grande institutio­n du théâtre français, créée en 1680 par le roi Louis XIV.

Les comédiens ne sont pas en grève. Ce sont les personnels techniques (machiniste­s, électricie­ns, accessoiri­stes, tapissiers, ingénieurs du son, habilleuse­s) qui défendent un régime spécial de retraite permettant, sous certaines conditions, un départ à 57 ans. Salle Richelieu, où se pratique l’alternance, il faut monter les décors avant chaque spectacle et les grévistes peuvent se déclarer jusque très tard, d’où les annulation­s de dernière heure. En revanche, dans les deux salles annexes de la Comédie-Française, le Vieux-Colombier et le Studio-Théâtre, les représenta­tions de L’Heureux Stratagème de Marivaux et La Conférence des objets ont été maintenues.

«Regrets artistique­s et goût d’inachevé»

A l’Opéra de Paris, même succession de «relâches» forcées: depuis le 5 décembre, plus de 50 représenta­tions ont été annulées au Palais Garnier et à l’Opéra Bastille, creusant dans les finances un trou qui approche les 10 millions d’euros. Impossible de voir en ce moment Le Prince Igor, de Borodine, avec à l’affiche la star montante Anita Rachvelish­vili (coût de chaque annulation, communiqué par l’Opéra: 358000 euros) ni les ballets Raymonda et Le Parc. Prévu pour deux spectacles en version de concert mi-décembre, Il Pirata, de Bellini, n’a pas été joué du tout. Le baryton Ludovic Tézier, qui en était la tête d’affiche, a écrit ses regrets sur Twitter: «Les circonstan­ces sont difficiles, et quand Il Pirata sombre corps et biens, c’est l’opéra qui prend de la gîte. Hommage à tous ceux qui avaient préparé et armé ce beau vaisseau. J’en avais perçu les rutilances lors de la générale. Regrets artistique­s et goût d’inachevé.»

A l’Opéra, les personnels techniques (dont on connaît depuis des décennies l’activisme syndical) ont été rejoints par le corps de ballet et les choeurs. Les danseurs peuvent actuelleme­nt partir à la retraite à 42 ans, les choristes à 50, les musiciens à 60. Tous se demandent ce qu’il adviendra de leur statut avec la réforme universell­e conçue par Emmanuel Macron et le gouverneme­nt français.

Pour mettre l’opinion publique de leur côté, les artistes ont tenté quelques «happenings»: sur les marches de l’Opéra Bastille, on a entendu les chanteurs entonner La Marseillai­se et le Choeur des esclaves du Nabucco de Verdi, devant une banderole indiquant «On va vous botter le cul»… Et le 24 décembre, avant le réveillon, une quarantain­e de danseuses ont présenté sous des applaudiss­ements nourris quelques tableaux du Lac des cygnes sur les marches du Palais Garnier.

Les petites salles vidées

Ailleurs, c’est la grève des transports qui vide les salles: si les deux comédies musicales à l’affiche, Funny Girl au théâtre Marigny et Un Américain à Paris au Châtelet, ont la chance d’être accessible­s par l’une des deux lignes de métro automatisé qui fonctionne­nt sans relâche, les petites salles privées font grise mine, avec souvent 40% d’annulation­s.

A condition de pouvoir y accéder, c’est le moment de visiter des musées sans se bousculer. Au Louvre, où est accrochée jusqu’au 24 février une exposition Léonard de Vinci, la direction se réserve d’ouvrir plus tard, de fermer plus tôt et de fermer certaines salles, comme au Musée d’Orsay et au Centre Pompidou. Pour admirer Les Nymphéas de Claude Monet au Musée de l’Orangerie, il faut même arriver au plus tard à 16h30.

Certains organisate­urs anticipent une grève interminab­le: ainsi le Festival internatio­nal du cirque, qui devait se dérouler du 9 au 14 janvier 2020 à Massy, en banlieue parisienne, vient-il d’être annulé. Les dix mille places vendues seront remboursée­s.

A condition de pouvoir y accéder, c’est le moment de visiter des musées sans se bousculer

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