Le Temps

«Une Suisse en pleine santé et une UE qui se délite»

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Le président de la Confédérat­ion sortant, Ueli Maurer, n’a pas fait dans la nuance en tirant le bilan de son année présidenti­elle. La Suisse tient la forme, tandis que l’Union européenne perd en influence

Ayant fêté ses 69 ans tout récemment, Ueli Maurer devrait jouir depuis longtemps d'une paisible retraite. Mais il n'en est pas question. Arrivé au terme d'une année présidenti­elle très chargée lors de laquelle il a rencontré tous les grands de ce monde, le ministre des Finances a affiché son optimisme pour la Suisse tout en tenant des propos peu amènes envers l'Union européenne (UE).

Le président sortant de la Confédérat­ion a aussi passé sous silence quelques thèmes qui fâchent

Il a d'abord pris un malin plaisir à prendre le contrepied de tous ceux qui estiment que la dernière législatur­e a été «perdue», tant la Suisse a eu de la peine à se réformer. «Rien n'est plus faux», s'est exclamé le conseiller fédéral. «Nous avons vécu une bonne législatur­e, durant laquelle nous avons pu amortir notre dette de 9 milliards de francs, et même de 25 milliards depuis l'introducti­on du frein à l'endettemen­t.» Pour un peu, on se serait cru dans une chanson de Michel Berger: «C'est peut-être un détail pour vous»… Mais pour le monde entier, cela ne passe pas inaperçu. «Aux yeux des observateu­rs étrangers, un pays qui réduit ses dettes, c'est spectacula­ire, et probableme­nt unique au monde», a souligné le grand argentier de la Confédérat­ion. Le pays donne ainsi un signe de stabilité et de confiance.

Une Crypto Valley régulée tout en souplesse

Autre bonne nouvelle: en septembre 2018, le peuple suisse a approuvé, certes à la deuxième tentative seulement, la réforme de la fiscalité des entreprise­s. Le pays s'est ainsi extrait d'un bourbier dans lequel il risquait de s'enliser depuis l'éclatement de la crise financière mondiale de 2008. L'OCDE – tout comme l'UE, qui l'avait placée sur une liste grise – exerçait une forte pression sur la Suisse. «Nous avons réussi à évacuer la pression et ainsi à nous créer une marge de manoeuvre dans nos futures discussion­s avec Bruxelles.»

En 2013, Ueli Maurer avait effectué une première présidence discrète, ne cachant pas que ce rôle impliquait «trop de missions de représenta­tion et de voyages à l'étranger». Cette année, il y a visiblemen­t pris beaucoup plus de plaisir, d'autant plus qu'il avait été plébiscité par l'Assemblée fédérale (201 voix sur 209 bulletins valables). Il faut dire qu'entre-temps il a changé de départemen­t, quittant une armée mal équipée pour les comptes du ménage fédéral, d'une éclatante santé.

Autre signal perçu faiblement dans l'opinion publique, mais en fait crucial pour la Suisse: la création d'une Crypto Valley à Zoug, pour laquelle le Conseil fédéral a renoncé à une «lex blockchain», lui préférant un cadre juridique adapté de manière souple dans des lois existantes. «Nous avons déjà accordé deux licences pour des cryptobanq­ues». Indéniable­ment, la Suisse joue un rôle de pionnier dans le domaine des fintechs.

La Suisse parmi les grands du G20

«J'ai beaucoup voyagé», a admis un Ueli Maurer qu'on avait connu plus casanier. Il a non seulement fait le tour du monde, mais aussi rencontré ses plus puissants dirigeants: Xi Jinping à Pékin pour participer à un grand projet sur les Routes de la soie, Donald Trump pour continuer à offrir les bons offices de la Suisse en Iran, Vladimir Poutine pour promouvoir le travail pacificate­ur de l'OSCE – dont le Suisse Thomas Greminger est secrétaire – en Ukraine, Mohammed ben Salmane pour plaider en faveur de la présence de la Suisse au prochain G20. Et cela non seulement pour son volet financier, mais aussi pour le sommet des chefs d'Etat, pour la première fois.

Car il y a du pain sur la planche. L'OCDE envisage une réforme de la fiscalité qui pourrait coûter jusqu'à 5 milliards de francs à la Confédérat­ion. Le projet vise à imposer les bénéfices là où les entreprise­s multinatio­nales sont actives commercial­ement, et non plus à leur siège. La Suisse ne veut pas s'opposer à cette réforme. «Mais nous cherchons des alliés pour trouver ensemble une solution raisonnabl­e», a expliqué Ueli Maurer.

Dans ce tableau presque sans nuages dressé en une petite demi-heure, le président sortant de la Confédérat­ion a aussi passé sous silence quelques thèmes qui fâchent: la défense des droits humains, par exemple. Au cours de ses nombreux déplacemen­ts dans des Etats aux régimes illibéraux, il a souvent éludé la question par une réponse laconique: «Nous ne sommes pas ici pour donner des leçons.»

«L’UE existe-t-elle?»

Quant aux relations avec l'UE, qui réclame un accord institutio­nnel à la Suisse depuis dix ans, Ueli Maurer a ici donné l'impression d'être resté le chef du parti UDC qu'il a été plutôt que de s'exprimer en conseiller fédéral qu'il est. «L'UE existe-t-elle? Suivant avec qui vous parlez, les réponses divergent», a-t-il lâché. Avant d'ajouter que l'importance de notre relation avec l'UE a baissé au fil des ans, une tendance qui ne pourrait que se poursuivre après le Brexit.

Ueli Maurer a effectivem­ent dit «qu'il faudrait bien s'arranger un jour avec l'UE». Mais il ne se fait pas d'illusions, même après l'arrivée à la présidence de la Commission européenne d'Ursula von der Leyen, qu'il connaît bien depuis qu'il a été ministre de la Défense. «Mme von der Leyen ne cherchera pas à se faire ériger un monument à Berne, mais à Bruxelles.»

 ?? (PETER KLAUNZER/KEYSTONE) ?? «J’ai beaucoup voyagé», a admis un Ueli Maurer qu’on avait connu plus casanier.
(PETER KLAUNZER/KEYSTONE) «J’ai beaucoup voyagé», a admis un Ueli Maurer qu’on avait connu plus casanier.

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