La Vaudoise qui fait son blé dans le commerce du riz
Sabrina Ruchet-Rohner se spécialise dans le courtage de la troisième céréale la plus cultivée du monde. Patronne et unique employée de son entreprise, elle se démarque depuis son canapé de bureau. Mais la concurrence se précise
Cossonay, dans la campagne vaudoise. Une villa d’une zone résidentielle accueille un chien pas comme les autres, un malamute de l’Alaska au poil long. Sa maîtresse, elle, occupe une profession tout aussi rare, qu’elle exerce depuis chez elle: courtière en riz. Quand elle nous a reçu, elle était en tenue d’intérieur et son mari faisait des rénovations dans la maison. A côté de son ordinateur, des échantillons de riz noir italien côtoyaient des peluches et une carte du monde.
Pour Sabrina Ruchet-Rohner, 2019 aura été une nouvelle année contrastée. Jamais le monde n’aura autant consommé de riz. Des taxes européennes sur les importations du Cambodge et de la Birmanie ont été instaurées en janvier pour aider les riziculteurs du Vieux-Continent à faire face à cette concurrence. Plutôt une bonne nouvelle pour OWG Tapex Sàrl, la société dont Sabrina est la patronne et l’unique employée, qui collabore surtout avec les producteurs de la plaine du Pô.
De la plaine du Po à l’Asie
Mais le marché se consolide, les bateaux-cargos, toujours plus grands, réduisent les coûts du transport maritime et internet rend moins évidente la plus-value des intermédiaires, dans le monde des céréales également. OWG Tapex renforce ses contacts en Asie, mais le gros des affaires se fait avec ses partenaires historiques, en Italie. La Vaudoise fait face à cette transition complexe parce qu’elle maîtrise quatre langues, qu’elle ne rate pas une foire de l’alimentation, qu’elle voyage régulièrement et qu’elle s’est fait un nom.
Cette année, le chiffre d’affaires de la société devrait être plus important qu’en 2018. Mais la tendance est à la baisse: de plus de 600000 francs au début du millénaire, il est passé à 160000 francs en 2018. Cette année-là, la petite entreprise a généré la vente de 25000 tonnes de riz, un chiffre qui a également beaucoup baissé. Il y a dix ans, OWG Tapex employait cinq personnes.
L’entreprise a été créée par deux Italiens en 1962, à Lausanne, autour du courtage de céréales, d’huile et de légumes secs, avant de se spécialiser dans le riz. Elle a été rachetée à plusieurs reprises, puis par Sabrina en 2013. «Ma mère travaillait pour OWG Tapex comme secrétaire, c’est comme ça que j’ai commencé», raconte celle qui a une formation d’employée de commerce et qui a grandi dans la région. «Ma directrice m’a tendu un livre sur le riz, j’ai commencé sur le tas.»
La courtière fait le lien entre des producteurs d’un côté, des grossistes et des supermarchés de l’autre. Contrairement à un négociant, elle met les parties en contact sans jamais posséder la marchandise. Ces dernières semaines, elle a fait venir six conteneurs d’amidon de riz thaïlandais en France. Par son biais, dix camions de riz centauro italien sont partis en Allemagne et du «wild rice» californien s’est écoulé dans l’Hexagone. En novembre, la villa de Cossonay a vu ses commandes gonfler en Pologne, où une chaîne de supermarchés a fait des promotions sur son riz.
Davantage de clients en Europe qu’en Suisse
Un client français vient de lui commander 600 tonnes de basmati indien qui embarqueront en janvier au port de Mundra. Une fois récoltée, la céréale est séchée (pour atteindre environ 14% d’humidité), stockée dans des silos. Elle peut être fumigée, pour prévenir les infestations dues aux insectes avant d’être chargée. Soit en vrac dans un conteneur sous plastique («liner bags»), soit dans des sacs, d’une tonne («big bags») ou moins,
120 000 La Suisse importe 120 000 tonnes de riz par an, surtout du Brésil, d’Italie, de Thaïlande et d’Inde.
toujours dans des conteneurs. En Europe, le riz voyage en camion ou en train. La courtière prend une commission, de 5 euros par tonne, moindre que la concurrence.
«Nous avons travaillé avec Migros et Coop par le passé, mais peu», indique la patronne. Ses clients se trouvent surtout en Europe, France et Allemagne en tête, mais aussi aux Pays-Bas, à l’est et au sud du continent. Riso, l’association suisse pour la promotion du riz, recense 19 entreprises parmi ses membres, dont deux mastodontes, Migros et Coop, et des lilliputiens comme OWG Tapex.
«Je peux travailler depuis n’importe où, tant que j’ai une connexion internet et mon téléphone», indique Sabrina. Ses fournisseurs asiatiques communiquent volontiers sur WhatsApp. Le matin, la courtière traite davantage avec ses partenaires asiatiques et le soir avec les Etats-Unis, décalage horaire oblige. Les chocs culturels peuvent être importants: «Des pays arabes ne veulent pas travailler avec moi car je suis une femme», dit-elle.
L’avenir du riz italien? «Ça va aussi dépendre du consommateur, selon notre courtière, s’il veut vraiment manger local [ndlr: la plaine du Pô n’est pas loin], il en a le pouvoir.» La Suisse importe 120000 tonnes de riz par an, surtout du Brésil, d’Italie, de Thaïlande et d’Inde. En 1961, année des premières statistiques de l’ONU en la matière, le monde a produit 215 millions de tonnes de riz paddy (à l’état brut dans la rizière). Un chiffre qui tourne désormais autour des 800 millions de tonnes. ▅