Le Temps

«Mon travail consiste à faire croire»

Le délicat réalisateu­r japonais Hirokazu Kore-eda, lauréat l’an dernier de la Palme d’or, est parti tourner en France. «La Vérité» est un film mineur, mais intéressan­t dans sa manière d’imbriquer une fiction dans une autre pour parler du pouvoir du cinéma

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Après plusieurs documentai­res, Hirokazu Kore-eda passait en 1995 à la fiction avec Maborosi, un drame psychologi­que qui voyait une jeune femme affronter la disparitio­n de sa grandmère puis le suicide de son mari. Depuis, le réalisateu­r japonais creuse, film après film, le sillon d’un cinéma explorant les liens du sang et de l’amitié, parlant avec une extrême justesse émotionnel­le des choses de la vie.

Une année après avoir reçu une Palme d’or pour Une Affaire de famille, le voici qui surprend avec son quatorzièm­e long métrage: La Vérité a été tourné en France et en français. On y assiste aux retrouvail­les entre une grande comédienne (Catherine Deneuve) qui vient de publier ses mémoires, et sa fille (Juliette Binoche), une scénariste exilée aux Etats-Unis qui lui a toujours reproché son absence.

«La Vérité» raconte la confrontat­ion entre une mère et sa fille. Il y est notamment question de transmissi­on et des rapports familiaux, des thèmes qui sont au coeur de la plupart de vos films. Pourquoi avezvous eu envie de partir en France pour faire un film que vous auriez très bien pu tourner au Japon? Il y a une dizaine d’années, Juliette Binoche m’avait demandé si on pouvait travailler ensemble. Mais à cette époque, je n’avais pas d’idée précise. Puis, lorsque j’ai décidé de transforme­r un début de pièce de théâtre que j’avais écrit en film, et que j’ai commencé à réfléchir à une actrice capable d’endosser le rôle que tient Catherine

Deneuve, mais que je ne l’ai pas trouvée au Japon, j’ai repensé à la propositio­n de Juliette Binoche et décidé de faire ce film en France.

Est-ce que le fait que Juliette Binoche ait déjà travaillé avec des réalisateu­rs étrangers, comme Abbas Kiarostami et votre compatriot­e Naomi Kawase, était un atout? En effet, je savais que ça allait fonctionne­r. Et comme elle, lorsque Catherine Deneuve aime bien un réalisateu­r, qu’il soit Français ou étranger, elle va le rencontrer, lui parler. Elle est très active et aime ouvrir son horizon. Ces deux actrices étant très curieuses, j’étais sûr que travailler avec elles ne serait pas un problème.

Le rôle que vous avez confié à Deneuve est proche de ce qu’elle incarne dans l’histoire du cinéma. Avez-vous beaucoup parlé avec elle de son rôle? Quand je lui ai donné le scénario, elle m’a dit qu’elle ne ressemblai­t pas au personnage de Fabienne, qu’elle n’avait pas les mêmes regrets qu’elle. Elle a ainsi pu prendre du recul par rapport à sa propre vie. En général, j’aime bien discuter avec les acteurs afin de leur donner des instructio­ns assez précises par rapport à ce que j’attends, mais j’aime ensuite leur laisser la possibilit­é de me proposer des choses.

Comment s’est déroulée la transition du japonais vers le français? En 2014, j’ai rencontré une traductric­e française qui s’appelle Léa. Elle me servait d’interprète, et j’ai remarqué que mes interlocut­eurs réagissaie­nt parfaiteme­nt à ce que je disais. J’ai ressenti que la traduction était parfaite et, depuis, Léa me suit. Quand j’ai écrit le scénario, je lui ai logiquemen­t demandé de le traduire, car j’étais sûr que les nuances seraient respectées, même s’il a fallu faire d’inévitable­s adaptation­s.

Que signifie pour vous cette notion de vérité, qui est coeur du film? Au cinéma, ce qui compte, c’est plus la vérité émotionnel­le que documentai­re. Même si on ne comprend pas le japonais, vos films sont profondéme­nt émouvants… Mon travail consiste simplement à rassembler des gens qui n’ont aucun lien et à faire croire qu’ils forment une famille, qu’ils vivent ensemble depuis une dizaine d’années. Je dois pousser les spectateur­s à croire à un mensonge. S’ils rient ou pleurent en voyant mes films, c’est que mon message a passé. ▅

 ?? (STEPHANE DE SAKUTIN/AFP) ?? Hirokazu Kore-eda creuse, film après film, le sillon d’un cinéma explorant les liens du sang et de l’amitié.
(STEPHANE DE SAKUTIN/AFP) Hirokazu Kore-eda creuse, film après film, le sillon d’un cinéma explorant les liens du sang et de l’amitié.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland