CHEMINEMENT SANS REPÈRES
D’origine coréenne, Guka Han signe un premier livre en français qui interroge l’inquiétante étrangeté du réel
◗ Voici un petit livre singulier, envoûtant et très contemporain.
Le jour où le désert est entré dans la ville est un recueil de nouvelles signé Guka Han. C’est le premier livre, écrit en français, d’une jeune femme née en 1987 en Corée du Sud, précise son éditeur, Verdier.
Il n’y a aucune trace d’exotisme visible dans ces textes dépouillés. Pourtant, tous parlent de l’ailleurs, de l’exil, d’étrangers et d’étrangeté. Il n’y a là non plus, qu’il s’agisse des personnages ou des lieux, presque aucun nom. Exception faite de la première nouvelle du livre, qui porte le nom d’une ville, d’une cité de verre bâtie sur le désert, baptisée Luoes. «Séoul» à l’envers…
Si le nom se renverse, c’est peutêtre bien parce que les personnages de Guka Han, et celui ou celle qui lit avec eux, ont pénétré dans un univers légèrement différent du nôtre, ou qui, du moins, s’en est différencié à un moment donné. Mais comment et quand? «Quand je pose la question, on me répond toujours par un avant ou un après qui me laisse à chaque fois plus perplexe», dit un personnage qui s’interroge sur l’étrangeté des endroits où il se trouve, où il se réveille: «Vous ne savez plus à quoi ressemble le lieu que vous êtes censé habiter», dit l’un d’eux, qui ouvre les yeux dans le noir.
EN FUITE OU EN PERDITION
D’un texte à l’autre, souvenirs, explorations, fuites, interrogations reviennent. Presque toujours un personnage dit «je». C’est tantôt une fille, tantôt un garçon. Parfois on ne sait pas. Presque toujours ces personnages sont seuls. Rarement, ils rencontrent quelqu’un qui ressemble à un amour possible. Leur point commun est d’être à la fois désorientés et opiniâtres. Sans cesse, ils passent de la «Canicule» à la «Neige», pour reprendre les titres de deux nouvelles. D’un texte à l’autre, il fait très chaud ou très froid.
Et toujours autour de ces passants, de ces voyageuses, de ces personnages en fuite ou en perdition, le monde se délite à l’image de ce fleuve et cette fontaine sans eau: «Etrangement, l’odeur de l’eau était encore présente, comme un souvenir du fleuve» ou: «Tu étais assise au bord d’une fontaine sans eau.» Même le corps les trahit – à moins qu’il n’offre un refuge bienvenu: «J’ai accepté ma surdité comme une évidence. Elle s’est avérée encore plus efficace que les écouteurs pour m’isoler des bruits du monde qui m’entourait.»
Il y a quelque chose d’élémentaire, de très sensible dans la prose de Guka Han, qui s’avère aussi, souvent, inquiétante: «Vous vous demandez si vous rêvez en ce moment même, ou bien si vous êtes déjà morte.»
Et pourtant, ces petits textes aux titres faits d’un seul mot, «Perles», «Ouïe», «Einmal» invitent à déchiffrer un futur incertain qui pourrait être le nôtre. Ils interrogent l’après, ce qui nous attend dans un temps où les villes dévorent le désert (à moins que ce ne soit l’inverse), dans un monde où peut-être nous serons tous, d’une manière ou d’une autre, déplacés.