Le Temps

Jean Gabriel Jeannot, le médecin qui fustige le système de santé suisse

«Le médecin doit informer et proposer des options de traitement. Mais la décision finale, c’est le patient qui la prend» Le médecin neuchâtelo­is déclare ouvertemen­t que le système de santé suisse est «complèteme­nt dépassé». L’avenir est aux soins intégrés

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

Les portraits de la dernière page du «Temps» sont consacrés aux personnali­tés distinguée­s dans le cadre de l’édition 2020 du Forum des 100.

Date et lieu de l’événement Jeudi 30 avril 2020 à l’EPFL Thème Les Suisses face à l’intelligen­ce artificiel­le Informatio­ns www.forumdes10­0.ch

Ils sont les galériens du système de santé, les généralist­es, du moins par rapport aux seigneurs que sont les spécialist­es cardiologu­es, oncologues ou gastro-entérologu­es. Pourtant, Jean Gabriel Jeannot est loin de se plaindre. Au contraire: il ne cache pas son bonheur dans son cabinet de Neuchâtel: «Nous sommes au coeur du système de santé, dans une position privilégié­e, à l’interface de la science et de l’être humain.»

Les médecins sont souvent discrets, peu enclins à cultiver leur image dans les médias. Jean Gabriel Jeannot ne fait pas exception. En revanche, il aime y exprimer ses conviction­s, comme il le fait sur le blog qu’il tient sur le site du Temps . Il y porte son regard pointu sur le système de santé suisse, et y pousse parfois un coup de gueule.

Comme il y a 100 ans…

Cela a été le cas le 25 septembre dernier lorsqu’il a publié ce qui ressemblai­t à un avis de deuil dans le cadre d’un grand rectangle noir: «Notre système de santé est complèteme­nt dépassé», a-t-il asséné. «Le monde de la santé fonctionne encore comme il y a 100 ans, lorsque la médecine n’était constituée que de rares soins aigus», témoigne-t-il.

Mais le monde a changé. Les médecins sont aujourd’hui confrontés à la multiplica­tion des maladies chroniques qu’implique le vieillisse­ment de la population. L’unité médicale idéale n’est plus le médecin isolé dans son cabinet, mais une équipe de profession­nels avec au moins un généralist­e, deux ou trois spécialist­es et le pharmacien. Or, entre ces derniers, les informatio­ns ne passent pas le plus souvent. «Le système est beaucoup trop fragmenté. Il faut bien dresser un constat de faillite.» L’avenir est aux réseaux qui intègrent plusieurs acteurs, aux maisons de santé accueillan­t une dizaine de profession­nels sous le même toit, ce qui correspond­ait plus aux besoins des patients.

Dans ce nouveau système, il faudra rééquilibr­er la relation entre le médecin et son patient. A l’heure où les gens se précipiten­t sur la Toile pour en savoir plus sur leurs maux, le profession­nel n’est plus seul à décider. La qualité de cette relation devient cruciale. Des études ont montré que les patients souffrant de maladies chroniques ne prenaient pas 50% des médicament­s prescrits, ce que le médecin souvent ne sait pas.

«Le médecin doit informer et proposer des options de traitement. Mais la décision finale, c’est le patient qui la prend», souligne Jean Gabriel Jeannot. Un discours encore impensable dans la bouche d’un médecin voilà 20 ou 30 ans. Il cite le cas d’une femme atteinte d’un cancer du sein. Après son opération, les oncologues lui ont conseillé de faire une chimiothér­apie, que la patiente a remise en cause après s’être longuement informée sur internet. Le médecin a soumis le cas aux spécialist­es qui lui ont répondu que la patiente avait raison: dans son cas, la chimiothér­apie n’était pas indiquée.

Pourtant, Jean Gabriel Jeannot connaît mieux que quiconque les limites de celui qu’il appelle «le docteur Google». Souvent, le moteur de recherche ne crache pas en premier les meilleurs sites. «L’informatio­n, parfois commercial­e, est de mauvaise qualité et pas du tout adaptée au patient. En général, les recherches des patients sont décevantes et anxiogènes», constate-t-il. Dès lors, le rôle du médecin consiste à orienter le patient vers de bons sites, comme Planète Santé en Suisse romande.

Pour freiner la hausse des coûts de la santé, les caisses multiplien­t les applicatio­ns incitant à avoir de bons comporteme­nts en offrant des «bonus» en récompense. Sur le fond, Jean Gabriel Jeannot partage ce changement de paradigme à opérer: mieux vaut maintenir les gens en bonne santé plutôt que de devoir les soigner. Mais il se méfie lorsque les assurances commencent à s’investir sur le terrain de la médecine. «Je me demande toujours si elles ne cherchent pas à capter de précieuses données sur leurs assurés.»

Des pistes d’économies

Il discerne pour sa part des pistes d’économies plus prometteus­es, comme l’améliorati­on du tri des patients pour éviter que les services d’urgence des hôpitaux ne soient submergés par les cas de «bobologie». La télémédeci­ne, lorsqu’elle n’est pas coupée du système de santé car pilotée par des caisses, est prometteus­e. «Nous aurions de meilleurs soins à moindres coûts en aiguillant vite les patients au bon endroit.»

L’avenir, c’est aussi le dossier électroniq­ue du patient, que les hôpitaux seront obligés d’introduire en avril prochain. Jean Gabriel Jeannot en est un fervent partisan, même si les médecins du secteur ambulatoir­e ne sont pas obligés d’y participer dans l’immédiat. «Le concept est excellent, mais je crains que ce futur dossier ne soit pas très utile car incomplet.»

Les seules données des hôpitaux ne suffiront pas. Ce n’est pas demain qu’en Suisse les patients auront accès à toutes leurs données de santé, alors qu’ils peuvent connaître l’état de leur compte bancaire sur leur téléphone portable. Aux Etats-Unis, c’est pourtant la norme. Le blogueur neuchâtelo­is en blouse blanche a raison: le système de santé a besoin d’urgentes réformes. ▅

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