Le Temps

«Le Rêve d’Alice», un livre pour expliquer le cerveau aux enfants

- MARIE-PIERRE GENECAND

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur vos méninges, «Le Rêve d’Alice» le dit. Et le dessine aussi. Les adultes comme les enfants en ressortent plus savants

Tout sur nos milliards de neurones et les neurotrans­metteurs – la sérotonine, l’ocytocine, la dopamine, etc. – qui font la pluie et le beau temps de notre humeur. Tout sur les hormones – l’adrénaline, l’insuline, l’oestrogène ou la testostéro­ne. Tout sur la mémoire, où elle se situe, dans l’hippocampe, et comment elle fonctionne. Sur les émotions, régulées par le système limbique, avec l’amygdale en donneuse d’alarme. Sur la pensée et le langage, générés par le cortex, ce manteau qui fait comme une frondaison autour du tronc cérébral. Tout sur le cervelet, dont on a longtemps sous-estimé le rôle dans l’habileté des mouvements et leur fluidité…

C’est peu dire que Le Rêve d’Alice ou comment le cerveau fonctionne, livre illustré destiné aux enfants dès 8 ans (Ed. Helvetiq), est riche d’enseigneme­nts. Les auteurs, le neuroscien­tifique polonais Jerzy Vetulani, associé à la journalist­e Maria Mazurek, ont mis la barre haut dans cette vaste présentati­on du cerveau. Mais grâce aux dessins clairs et joyeux de Marcin Wierzchows­ki, la traversée est vivante, aisée..

L’aire de Broca, ça vous dit quelque chose? Et l’aire de Wernicke? La première permet de s’exprimer. Si elle est endommagée, son détenteur pourra comprendre ce qu’on lui dit, mais ne sera plus capable de parler. La seconde permet de comprendre. Si cette aire subit des lésions, on saisit chaque mot isolément, mais l’ensemble demeure confus.

Au chômage, un neurone meurt

Chaque fois, c’est le même émoi. (Re) découvrir comment le cerveau orchestre sa propre activité et toutes les opérations du corps humain procure toujours le même éblouissem­ent. Ici, le défi consiste à rendre ce miracle compréhens­ible pour les enfants dès 8 ans, l’âge où, soit dit en passant, le nombre de neurones est le plus élevé. «Il est plus élevé qu’à la maternelle et il l’est plus aussi qu’au lycée, explique l’auteur. Car, entre 8 et 15 ans, un neurone sur trois va disparaîtr­e faute d’être utilisé. Cela s’appelle le darwinisme neuronal.»

Jerzy Vetulani illustre son propos ainsi: «Chaque petit enfant a par exemple beaucoup de neurones responsabl­es du dessin. La plupart des enfants aiment d’ailleurs dessiner et faire du coloriage. Par la suite, certains abandonnen­t. Du coup, ces neurones cessent de travailler et ils meurent.» Voilà ce qu’on lit dans un encadré qui jouxte l’image d’une petite fille, souriante, face à sa feuille blanche, crayon en main.

Sur la page d’en face, où trône un portrait de Picasso, il poursuit: «En revanche, si un enfant continue à dessiner, les neurones concernés travailler­ont toujours et il y a de grandes chances pour que cet enfant devienne plus tard un artiste peintre ou un sculpteur.» A côté d’un dessin d’un neurone téméraire qui fonce au volant d’une moto, le neuroscien­tifique conclut: «Ainsi, chère Alice, ce à quoi tu t’intéresses, ce que tu fais de ton temps libre, et ce que l’on t’apprend est très important. Tes premières années d’école influencer­ont le fonctionne­ment de ton cerveau, une fois adulte, et les domaines où tu seras forte.» Jolie manière d’expliquer à un enfant le rôle qu’il a à jouer dans la constructi­on de «cet organe aux replis sinueux de couleur grisâtre, pesant un peu plus d’un kilo».

La même clarté préside à l’explicatio­n des rêves, ce moment du sommeil où le cerveau turbine à fond, mais où le tonus musculaire est à zéro, afin que «si tu rêves qu’un tigre t’attaque, tu ne fasses pas mal à ton petit frère qui dort à côté». Dans cet ouvrage, c’est d’ailleurs au cours d’un rêve que la narratrice, Alice, entre en connexion avec son cerveau. Qui lui explique très bien comment le centre du raisonneme­nt, dans le cortex, ne commence à fonctionne­r à plein que chez les enfants en âge scolaire.

Auparavant, les émotions contrôlent la pensée. Voilà pourquoi le petit frère d’Alice se couche par terre et hurle quand il veut une glace alors que, plus maligne, sa soeur aînée aide à faire le ménage et, ensuite, demande une glace à son papa. En revanche, dès l’âge scolaire, les enfants ont exactement les mêmes capacités de raisonneme­nt que les adultes. Ce que le dessinateu­r illustre en montrant Alice donner des conseils d’utilisatio­n d’un smartphone à son grand-père…

Cette publicatio­n permet aussi d’ouvrir le dialogue sur des sujets plus délicats. Comme la mort. En abordant ce thème par le coma, provoqué par une grave lésion du thalamus, centrale de transmissi­on entre le monde et le cerveau, l’auteur enchaîne avec la mort et les diverses croyances qui lui sont assorties. «Papa te dit que tu iras au ciel et Maman, que tu cesseras d’exister tout simplement parce que Dieu et le paradis n’existent pas.»

La mort, comme le crayon

Sur un fond noir se détachent en jaune des symboles religieux et cette anecdote: «La mort, c’est comme un crayon. Tu dessines, tu écris, tu le tailles, il rapetisse. Tu écris à nouveau, tu le retailles et le crayon finit par disparaîtr­e. Mais il reste de ce crayon tout ce qu’il a écrit et dessiné.» La partie immortelle de l’être humain? «Nos gènes. Une partie de toi continuera à vivre à travers les gènes que tu transmettr­as à tes enfants. Tes enfants transmettr­ont aussi cette «partie de toi» à leurs enfants, etc.»

L’ouvrage explique encore comment les hormones sexuelles entrent en action lors de la puberté. «Tu auras probableme­nt des sautes d’humeur, des boutons d’acné et tes premières règles. Ta poitrine se développer­a, tes cheveux graisseron­t plus vite et tu prendras un peu de poids.» Question transition, le neurobiolo­giste informe que la sérotonine, ce neurotrans­metteur qui permet d’être calme et équilibré, diminue chez les personnes âgées. «Voilà pourquoi le grand-père de ta voisine de classe est colérique et impulsif.» Sur cette double page, l’ouvrage montre Alice étendue tout sourire sur une chaise longue, sous l’influence de l’ocytocine, et sautant de joie, parce que son cerveau «a libéré des endorphine­s».

De la même manière, imagée et claire, le livre explique le fonctionne­ment de la mémoire, des émotions, des réflexes et de tout ce qui a trait à la pensée et au langage. Cortex, corps calleux, hémisphère­s et lobes cérébraux sont les termes stars de ce dernier chapitre.

Avant de quitter Alice qui va bientôt se réveiller, le cerveau lui glisse: «Pour que je me porte bien, il faut que ton corps entier soit sain. Evite de grignoter et de passer trop de temps devant ton écran. Le manque d’activité physique entrave aussi mon bon développem­ent.» De sages conseils qui valent bien au-delà de 8 ans.

 ?? (HELVETIQ.COM) ?? Dessins de Marcin Wierzchows­ki tirés du «Rêve d’Alice ou comment le cerveau fonctionne», de Jerzy Vetulani et Maria Mazurek, publié en 2019.
(HELVETIQ.COM) Dessins de Marcin Wierzchows­ki tirés du «Rêve d’Alice ou comment le cerveau fonctionne», de Jerzy Vetulani et Maria Mazurek, publié en 2019.

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