Le Temps

Un cinéma les pieds dans la boue

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Comment un acteur peut-il refuser la possibilit­é de passer ses journées à «jouer dans la boue comme un enfant, pieds nus dans la montagne où les téléphones n’ont pas de réseau»? Marcello Fonte, Prix d’interpréta­tion masculine en 2018 au Festival de Cannes pour Dogman, de Matteo Garrone, est un des protagonis­tes d’Aspromonte, la terre des oubliés, dans les salles obscures italiennes depuis fin novembre.

Le film du réalisateu­r Mimmo Calopresti raconte l’histoire du village d’Africo, dans l’Aspromonte calabrais, dans un sud de l’Italie des années 1950. Isolés, abandonnés par les autorités, privés de médecin, opprimés par un bandit local, les villageois décident de construire eux-mêmes une route pour se connecter à la civilisati­on. Aux côtés du poète de la bourgade Marcello Fonte, Sergio Rubini en criminel, Francesco Colella et Marco Leonardi en meneurs de la contestati­on sociale et l’actrice fétiche du cinéaste, Valeria Bruni Tedeschi en enseignant­e débarquée du Nord.

Deux heures de bus pour aller à l’école

Inspiré de faits réels, Aspromonte est le récit d’une Italie du Sud abandonnée. La question du Mezzogiorn­o hante la Péninsule depuis son unité en 1861. La pellicule est surtout l’histoire des «oubliés» d’une région montagneus­e reculée. «Au début du tournage, des enseignant­s calabrais étaient en grève car ils manquent d’écoles, se souvient Mimmo Calopresti. Les enfants sont amenés à faire jusqu’à deux heures de bus pour en trouver une. Dans le même temps, les bateaux de migrants que l’on voyait de nos montagnes étaient bloqués au large. Aider tous ces «derniers» (gli ultimi, dans le titre original) serait la voie la plus simple, mais elle n’intéresse pas les politicien­s.»

Le réalisateu­r, avec Marcello Fonte et le producteur Fulvio Lucisano, se trouvait au siège de l’Associatio­n de la presse étrangère à Rome, mi-janvier. Devant une poignée de journalist­es, ils présentaie­nt leur film en concours pour le Globo d’Oro, les Golden Globes transalpin­s. Leur origine calabraise commune explique un projet ambitieux et risqué. Le film a coûté 2,5 millions d’euros. «Nous ne les avons pas récupérés, mais cela ne fait rien», regrette le producteur nonagénair­e, qui a voulu raconter «une tranche de sa vie».

«Le cinéma italien n’a pas du tout envie d’aller dans des lieux inaccessib­les, regrette Mimmo Calopresti. Il va difficilem­ent affronter ce genre de vie, sur ce genre de terrain, avec ses dialectes, ses personnage­s pieds nus, sa boue.» Le producteur se rappelle par exemple que le cinéaste Luigi Comencini «ne voulait pas se rendre en Calabre pour un tournage, de peur d’être ravi par le crime organisé. J’ai dû l’emmener devant le préfet pour le rassurer», s’amuse Fulvio Lucisano.

Le Sud italien souffre encore, et il est aujourd’hui toujours plus pauvre. «Dans le monde, il y a des Africo partout. Depuis l’Aspromonte, conclut le cinéaste, nous voulions raconter la civilisati­on.»

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(ITALIAN INTERNATIO­NAL FILM)
 ?? CORRESPOND­ANT DU «TEMPS» EN ITALIE ?? ANTONINO GALOFARO
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CORRESPOND­ANT DU «TEMPS» EN ITALIE ANTONINO GALOFARO Blogs.letemps.ch/ antonino-galofaro

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