L’Arabie saoudite lâche la mosquée de Genève
La monarchie saoudienne veut se retirer des mosquées qu’elle finance à l’étranger. Pour Riyad, accusé de favoriser la radicalisation, la diplomatie religieuse est devenue une arme à double tranchant
Dimanche après-midi, les fidèles de la mosquée du Petit-Saconnex, la plus grande de Suisse, ne cachaient pas leur inquiétude. Dans une interview au Matin dimanche, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, Mohammad Abdulkarim Alissa, venait d’annoncer que le bras religieux du royaume allait se séparer et ne financerait plus le lieu de culte à l’avenir désormais incertain. Le Saoudien veut confier la mosquée «directement à la communauté des musulmans de Genève et de la région».
Les musulmans de Genève, à qui nous avons parlé à la sortie de la mosquée, n’étaient au courant de rien avant ce dimanche. Le lieu de culte, qui peine à se défaire de son image sulfureuse, entre dans une nouvelle tourmente.
Un levier d’influence à double tranchant
La direction de la mosquée du Petit-Saconnex ne fait aucun commentaire et renvoie aux propos de Mohammad Abdulkarim Alissa. Cet ancien ministre saoudien de la Justice est aussi le président de Fondation culturelle islamique, qui gère la mosquée du Petit-Saconnex construite avec des fonds saoudiens et inaugurée en 1978 en présence de l’ancien roi Khaled ben Abdelaziz. La fondation se consacrera désormais «au dialogue des religions en Suisse et dans le monde», toujours selon le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale.
Le dialogue des religions est manifestement une cause plus consensuelle.
Pour la pétro-monarchie saoudienne, le soutien de mosquées à travers le monde est un levier d’influence de choix mais à double tranchant. Riyad est de plus en plus accusée de promouvoir un islam ultra-rigoriste qui ferait le lit de la radicalisation et du terrorisme. L’an dernier, le gouvernement belge, en réaction aux attentats dans le pays, a, par exemple, retiré la gestion de la mosquée de Bruxelles à la Ligue islamique mondiale.
La mosquée de Genève ne serait pas la seule concernée par le retrait saoudien. «Nous allons prendre les mêmes dispositions dans le monde entier. Partout, il y aura un conseil d’administration local, mis en place en coordination avec les autorités nationales», poursuit Mohammad Abdulkarim Alissa, dans les colonnes du Matin dimanche.
Une nouvelle politique générale donc mais la mosquée de Genève était aussi un cas particulier et sensible. Plusieurs jeunes qui fréquentaient le lieu de culte sont partis rejoindre l’Etat islamique en Syrie et quatre employés, fichés pour radicalisation présumée par la France, avaient dû être renvoyés en 2017. «La gestion est plus transparente. Il y a eu des formations pour prévenir la radicalisation et des mesures au niveau du choix des imams et de la qualité des serments», assure Mohammad Abdulkarim Alissa, saluant le travail accompli par la nouvelle direction.
«Une annonce abrupte» et la difficulté de s’impliquer
La mosquée compte aujourd’hui 17 salariés. Une partie du budget du lieu, dont le montant est inconnu, vient des loyers du parc immobilier appartenant à la Fondation culturelle islamique. Que deviendront ces rentrées et ce patrimoine après le retrait saoudien? Personne n’a de réponse. Mohammad Abdulkarim Alissa sera à Genève les 17 et 18 février pour une conférence contre la radicalisation, sans doute aussi pour entamer la délicate transition à la mosquée de Genève.
«Cette annonce est abrupte, réagit Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation l’Entre-connaissance. Si les musulmans de Genève ne sont pas consultés, il leur sera difficile de s’impliquer.» Cet ancien porte-parole de la mosquée de Genève, licencié parce qu’il dénonçait la mainmise saoudienne, exprime des doutes sur la viabilité des activités de culte sans l’apport de la fondation, qui organise aussi des événements culturels et des cours d’arabe.
Hafid Ouardiri espère toutefois que le retrait saoudien sera une opportunité pour que la mosquée retrouve «sa place dans la cité genevoise». «Cela faisait des années que beaucoup d’entre nous alertions sur les dérives de la mosquée. La Ligue islamique mondiale en a enfin pris conscience mais il faut maintenant que la séparation se fasse dans de bonnes conditions», prône-t-il.
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