Le Temps

L’Arabie saoudite lâche la mosquée de Genève

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

La monarchie saoudienne veut se retirer des mosquées qu’elle finance à l’étranger. Pour Riyad, accusé de favoriser la radicalisa­tion, la diplomatie religieuse est devenue une arme à double tranchant

Dimanche après-midi, les fidèles de la mosquée du Petit-Saconnex, la plus grande de Suisse, ne cachaient pas leur inquiétude. Dans une interview au Matin dimanche, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, Mohammad Abdulkarim Alissa, venait d’annoncer que le bras religieux du royaume allait se séparer et ne financerai­t plus le lieu de culte à l’avenir désormais incertain. Le Saoudien veut confier la mosquée «directemen­t à la communauté des musulmans de Genève et de la région».

Les musulmans de Genève, à qui nous avons parlé à la sortie de la mosquée, n’étaient au courant de rien avant ce dimanche. Le lieu de culte, qui peine à se défaire de son image sulfureuse, entre dans une nouvelle tourmente.

Un levier d’influence à double tranchant

La direction de la mosquée du Petit-Saconnex ne fait aucun commentair­e et renvoie aux propos de Mohammad Abdulkarim Alissa. Cet ancien ministre saoudien de la Justice est aussi le président de Fondation culturelle islamique, qui gère la mosquée du Petit-Saconnex construite avec des fonds saoudiens et inaugurée en 1978 en présence de l’ancien roi Khaled ben Abdelaziz. La fondation se consacrera désormais «au dialogue des religions en Suisse et dans le monde», toujours selon le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale.

Le dialogue des religions est manifestem­ent une cause plus consensuel­le.

Pour la pétro-monarchie saoudienne, le soutien de mosquées à travers le monde est un levier d’influence de choix mais à double tranchant. Riyad est de plus en plus accusée de promouvoir un islam ultra-rigoriste qui ferait le lit de la radicalisa­tion et du terrorisme. L’an dernier, le gouverneme­nt belge, en réaction aux attentats dans le pays, a, par exemple, retiré la gestion de la mosquée de Bruxelles à la Ligue islamique mondiale.

La mosquée de Genève ne serait pas la seule concernée par le retrait saoudien. «Nous allons prendre les mêmes dispositio­ns dans le monde entier. Partout, il y aura un conseil d’administra­tion local, mis en place en coordinati­on avec les autorités nationales», poursuit Mohammad Abdulkarim Alissa, dans les colonnes du Matin dimanche.

Une nouvelle politique générale donc mais la mosquée de Genève était aussi un cas particulie­r et sensible. Plusieurs jeunes qui fréquentai­ent le lieu de culte sont partis rejoindre l’Etat islamique en Syrie et quatre employés, fichés pour radicalisa­tion présumée par la France, avaient dû être renvoyés en 2017. «La gestion est plus transparen­te. Il y a eu des formations pour prévenir la radicalisa­tion et des mesures au niveau du choix des imams et de la qualité des serments», assure Mohammad Abdulkarim Alissa, saluant le travail accompli par la nouvelle direction.

«Une annonce abrupte» et la difficulté de s’impliquer

La mosquée compte aujourd’hui 17 salariés. Une partie du budget du lieu, dont le montant est inconnu, vient des loyers du parc immobilier appartenan­t à la Fondation culturelle islamique. Que deviendron­t ces rentrées et ce patrimoine après le retrait saoudien? Personne n’a de réponse. Mohammad Abdulkarim Alissa sera à Genève les 17 et 18 février pour une conférence contre la radicalisa­tion, sans doute aussi pour entamer la délicate transition à la mosquée de Genève.

«Cette annonce est abrupte, réagit Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation l’Entre-connaissan­ce. Si les musulmans de Genève ne sont pas consultés, il leur sera difficile de s’impliquer.» Cet ancien porte-parole de la mosquée de Genève, licencié parce qu’il dénonçait la mainmise saoudienne, exprime des doutes sur la viabilité des activités de culte sans l’apport de la fondation, qui organise aussi des événements culturels et des cours d’arabe.

Hafid Ouardiri espère toutefois que le retrait saoudien sera une opportunit­é pour que la mosquée retrouve «sa place dans la cité genevoise». «Cela faisait des années que beaucoup d’entre nous alertions sur les dérives de la mosquée. La Ligue islamique mondiale en a enfin pris conscience mais il faut maintenant que la séparation se fasse dans de bonnes conditions», prône-t-il.

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