Une vidéo d’inspiration nazie gêne Bolsonaro
Le président d’extrême droite a limogé son secrétaire à la Culture qui avait joué avec des références fascistes dans un clip de propagande. Pourtant, son attitude n’avait rien d’étonnant au sein d’un gouvernement coutumier des dérives totalitaires
Ainsi, tout serait rentré dans l’ordre au Brésil. Du moins, selon Jair Bolsonaro, qui entame sa seconde année au pouvoir. Vendredi 17 janvier, le président d’extrême droite avait limogé sans attendre son secrétaire à la Culture, Roberto Alvim, qui s’était fendu d’une vidéo d’inspiration nazie pour annoncer sa politique «nationaliste».
Depuis la veille, cette vidéo «tragicomique», selon le mot de la Folha de São Paulo, le principal quotidien du pays, tournait sur les réseaux, exposant au ridicule ce que d’aucuns appellent le «Bolsonistan». On y voyait le numéro un de la Culture – portefeuille supprimé par Bolsonaro et relégué à un secrétariat au sein d’un autre ministère –, habillé comme Goebbels, coiffé comme Goebbels et parlant comme Goebbels. Sur un fond musical de Wagner, compositeur
«Bolsonaro lui-même rend hommage à des dictateurs sanguinaires»
ELIANE CANTANHÊDE, ÉDITORIALISTE AU JOURNAL «O ESTADO DE SÃO PAULO»
préféré d’Adolf Hitler, il plagiait un discours de son propagandiste, affirmant que l’art brésilien «sera héroïque et national […] ou ne sera pas».
«Alors maintenant, on peut dire de ce gouvernement qu’il est nazi-fasciste?» raillait un universitaire sur un forum internet. De fait, beaucoup, même à gauche, hésitaient encore à parler de «fascisme», par crainte de galvauder le terme. Or, l’affaire aurait «fait tomber les masques sur la nature profonde du gouvernement», selon le psychanalyste Tales Ab’Saber. Tandis que les plus optimistes y ont vu au contraire le signe que «l’extrémisme a des limites», même pour un Bolsonaro incivilisé… mais pas disposé pour autant à se mettre à dos la communauté juive, lui qui a fait du soutien à Israël un pilier de sa politique étrangère.
Le tollé général n’a trompé personne. Les mêmes élites qui ont condamné l’affaire ferment les yeux sur les sorties racistes et anti-minorités de Bolsonaro. «Les réformes économiques passent, c’est ce qui importe», résume dans une sincérité déconcertante José Francisco Lima Gonçalves, économiste en chef de la banque Fator.
Pour Eliane Cantanhêde, éditorialiste au journal de droite O Estado de São Paulo, le délire nazi du secrétaire déchu, loin d’être un fait isolé, s’inscrit dans un contexte favorable, où «de temps à autre, tel ou tel responsable menace d’un retour de l’AI-5 [tour de vis dans la répression sous la dictature brésilienne, entre 1964 et 1985, ndlr], tandis que Bolsonaro lui-même rend hommage à des dictateurs sanguinaires».
La nomination d’Alvim, en novembre dernier, serait en soi révélatrice. Le poste avait été offert à ce dramaturge comme récompense, après sa prise de bec avec la principale actrice brésilienne, Fernanda Montenegro, qu’il avait taxée de «sordide», pour avoir dénoncé une entreprise de destruction de la culture par le gouvernement, qui a baissé le plafond des subventions à la création, et les conditionne désormais à des «filtres». Autant dire, la censure.
Une guerre contre l’art «de la gauche»
Alvim a eu carte blanche pour mener une «guerre» contre l’influence de la gauche dans les arts. Son limogeage ne signifie pas un retour à une forme de normalité démocratique, alertent les observateurs. Sa politique culturelle «dirigiste», voire «totalitaire», perdure. Dans la vidéo, il annonçait une enveloppe de quelques millions de francs pour soutenir une création conforme aux valeurs bolsonaristes: patrie, famille, religion.
Et puis, si Alvim est parti, Bolsonaro, lui, reste. «Goebbels, Olavo de Carvalho [idéologue de l’extrême droite brésilienne] et Steve Bannon [ex-conseiller de Trump, désormais proche de son émule brésilien] continuent à planer sur son gouvernement, et pas seulement dans le domaine de la culture», reprend Eliane Cantanhêde. Et de citer aussi l’éducation (dont le titulaire est en conflit permanent avec les universités, des bastions de gauche), la diplomatie (d’inspiration trumpiste), les droits de l’homme (hausse des violences policières), ou encore l’environnement (dont le système de gouvernance a été détruit).
Pour l’instant, les contre-pouvoirs – justice, mais surtout Congrès – parviennent un tant soit peu à limiter la casse, mais ce que l’éditorialiste Vinicius Torres Freire présente comme un «travail de sape des institutions» se poursuit.
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