Le Temps

Pour que la mémoire de la Shoah reste vive

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Simonetta Sommaruga emmène des étudiants assister à la cérémonie marquant le 75e anniversai­re de la fin d’Auschwitz. Ces jeunes ont rencontré des survivants, qui leur ont raconté leur histoire

Leurs familles ou eux-mêmes personnell­ement ont connu l’enfer. Cet enfer s’est arrêté il y a 75 ans, lorsque, le 27 janvier 1945, le camp de concentrat­ion d’Auschwitz fut officielle­ment fermé. L’enfer, ils et elles l’ont vécu sur ce site macabre, ou à Buchenwald, à Dachau, à Ravensbrüc­k, à Theresiens­tadt. Ces noms résonnent encore de manière sinistre aux oreilles de nombreuses personnes, mais la mémoire risque de se perdre lorsque les derniers témoins directs ne seront plus là pour raconter. Le 27 janvier 2020, une cérémonie marquera le 75e anniversai­re de l’abandon d’Auschwitz. La présidente de la Confédérat­ion, Simonetta Sommaruga, y participer­a. Elle sera accompagné­e d’une vingtaine de jeunes.

«Nos forces faiblissen­t»

Ils étudient l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Ces étudiants ont dialogué dimanche à Berne avec une soixantain­e de survivants de la Shoah, parmi lesquels plusieurs Genevois. Ils ont entendu directemen­t de leur bouche les horreurs que les nazis leur ont fait subir, à eux ou à leurs familles. Simonetta Sommaruga a organisé cette rencontre afin de faire perdurer le souvenir de l’Holocauste. «Le cercle des survivants se rétrécit chaque année. La présence d’étudiantes et étudiants est importante, car ils veulent savoir, se souvenir, transmettr­e», explique-t-elle. Ce travail est d’autant plus significat­if que, durant les décennies qui ont suivi l’immédiat après-guerre, on n’évoquait pas volontiers ce passé douloureux. Ivan Lefkovits se souvient de cette époque: «Cela n’intéressai­t personne. J’ai beaucoup regretté le silence des autorités suisses et allemandes et des survivants eux-mêmes. Mais il y a heureuseme­nt un changement d’attitude chez les élites politiques et dans la population», raconte ce natif de République tchèque arrivé à Bâle en 1969.

L’affaire des fonds en déshérence et la Commission Bergier ont libéré la parole à propos de ce passé douloureux. Le travail effectué par ceux qui, comme Paul Grüninger, avaient aidé des personnes persécutée­s par le Reich à trouver asile en Suisse a été progressiv­ement reconnu. En 1995, un centre de contact pour les victimes de l’Holocauste a été mis sur pied par l’une d’elles, Gabor Hirsch, qui, âgé aujourd’hui de 90 ans, avait fui sa Hongrie natale pour se réfugier en Suisse en 1956. Après la dissolutio­n du centre de contact en 2011, d’autres organisati­ons ont pris le relais, comme la fondation Gamaraal. Une exposition photograph­ique, montrant par exemple les matricules à cinq chiffres tatoués sur les bras des détenus, a été dédiée aux survivants suisses de l’Holocauste. Le journalist­e alémanique Benno Tuchschmid a consacré l’an dernier un livre – Les Prisonnier­s suisses des camps de concentrat­ion, dont la version française est annoncée pour cet automne aux Editions Alphil – à ces témoins d’une époque traumatisa­nte. Ivan Lefkovitz, qui a été un des piliers du centre de contact, estime entre 400 et 600 le nombre de survivants vivant en Suisse.

Pour lui, qui est âgé de 82 ans, la transmissi­on de cette connaissan­ce est fondamenta­le. «Nos forces faiblissen­t. Il faut que cette mémoire survive», souhaite-t-il après la rencontre de dimanche. Il raconte volontiers sa tragique épopée. «A l’automne 1944, ma mère, mon frère et moi avons été déportés à Ravensbrüc­k puis à Bergen-Belsen. Mon frère fut séparé de nous pour être emmené au camp des hommes, où il est mort. Ma mère et moi avons survécu. Nous avons subi l’irréparabl­e et cela nous hante encore. Je me souviens d’un voyage en train en Ecosse à bord du Royal Scotsman. Lorsque, lors d’une manoeuvre, j’ai entendu les roues crisser, j’ai eu des frayeurs. Plus récemment, lorsque Simonetta Sommaruga nous a contactés pour organiser cette rencontre entre survivants et jeunes, elle m’a demandé de faire une liste des personnes à inviter. J’ai fait un cauchemar: je me suis imaginé dans un camp de concentrat­ion en train de trier ceux qui allaient vivre et ceux qui allaient mourir», raconte-t-il.

«Ces jeunes sont formidable­s»

Né en Belgique, Henri Elias (79 ans) a vécu après la guerre une vie mouvementé­e qui le conduira finalement à Genève au début des années 1970. Ses parents et son frère ont été déportés à Auschwitz alors qu’il était âgé de 2 ans. Il fut caché, baptisé de force, déclaré mort, ballotté d’une institutio­n à l’autre sous une fausse identité avant de pouvoir retrouver son oncle et sa tante au terme d’une longue procédure. Egalement établie à Genève, Jeannette Hadzis a échappé, avec ses parents et sa soeur, aux rafles effectuées par les nazis dans la ville grecque de Ioannina où ils vivaient. «Nous avons dû fuir dans les montagnes et vécu pendant huit mois dans une mission anglaise. Lorsque nous avons pu revenir, les autres membres de la famille avaient tous disparu, à l’exception d’une petite-cousine», se souvient-elle en montrant une photo de ses proches. Elle vint s’installer à Genève en 1955 lorsque son mari y fut nommé rabbin.

Des histoires semblables, les jeunes en ont entendu des dizaines dimanche. Les survivants comptent sur eux pour qu’elles ne tombent pas dans l’oubli. «Ces jeunes sont formidable­s. Ils ne se gênent pas pour nous poser plein de questions. C’est très positif», se réjouit Ivan Lefkovits.

«J’ai beaucoup regretté le silence des autorités suisses et allemandes et des survivants euxmêmes. Mais il y a heureuseme­nt un changement d’attitude»

IVAN LEFKOVITS, 82 ANS

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(BÉATRICE DEVÈNES) Simonetta Sommaruga avec Jeannette Hadzis, qui a échappé, avec ses parents et sa soeur, aux rafles effectuées par les nazis dans la ville grecque d’Ioannina où ils vivaient.

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