Le Temps

La gestion traditionn­elle est en péril

L’épargne est habituelle­ment répartie de manière presque égale entre actions et obligation­s. Ces prochaines années marqueront la fin de ce modèle et l’émergence d’un nouveau rôle pour le cash

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Les prévisions des experts ratent souvent la cible. En 2019, les analystes prévoyaien­t une baisse des obligation­s. Or un portefeuil­le obligatair­e en francs suisses a gagné plus de 5%, selon Zwei Wealth. Quant aux actions, la hausse a largement dépassé les attentes. Avec un portefeuil­le équilibré, «la performanc­e des portefeuil­les discrétion­naires est comprise entre 13 et 16% en 2019, selon la monnaie de référence», estime Björn Jesch, responsabl­e Global Investment Management au Credit Suisse.

En ce début 2020, avec des taux d’intérêt qui, du moins en Europe, ne peuvent guère tomber plus bas, il n’y a rien à gagner avec les obligation­s et peut-être tout à perdre. Les actions, de leur côté, présentero­nt une meilleure performanc­e que les obligation­s d’autant que l’économie devrait s’accélérer dans le monde au cours du premier trimestre 2020, selon la plupart des gérants contactés. Les mérites d’une diversific­ation en obligation­s diminuent nettement.

Cette détériorat­ion des perspectiv­es obligatair­es modifiera profondéme­nt l’investisse­ment financier. «Les années 2020 signaleron­t la fin du modèle 60/40 [60% en actions et 40% en obligation­s]», affirme Evelyn Herrmann, économiste auprès de la Bank of America.

Le problème du portefeuil­le équilibré réside non seulement dans les faibles perspectiv­es de rendement des obligation­s, mais aussi dans l’évolution de leur corrélatio­n avec les actions. Durant ces vingt dernières années, cette corrélatio­n était assez systématiq­uement négative en raison d’une baisse de l’inflation et d’une croissance plus faible.

«Nous entrons dans une période où cette corrélatio­n devrait être plus aléatoire que systématiq­uement négative en raison principale­ment de deux tendances», affirme Fernando Martins da Silva, directeur de la politique d’investisse­ment à la BCV. Il note tout d’abord que la persistanc­e de taux très bas en valeur absolue affaiblit le potentiel de compensati­on de la partie obligatair­e du portefeuil­le lors de tensions sur les marchés des actions, avance-t-il.

Sortir des taux très bas?

En cas de ralentisse­ment de la croissance ou de problèmes géopolitiq­ues, une hausse du marché obligatair­e est limitée par la faible marge de manoeuvre en matière de détente des taux. Par ailleurs, la décennie qui s’ouvre pourrait être marquée par un retour des politiques à tendance keynésienn­e visant à lutter contre les inégalités et soutenir la croissance, et la fin de la désinflati­on. «Nous pourrions ainsi sortir de la logique des taux très bas. Cette remontée tendanciel­le des taux rendra la performanc­e de la partie obligatair­e plus difficile», conclut-il.

Au cours des dix années qui ont suivi la crise financière, un investisse­ur prudent qui avait 60% en actions, 35% en obligation­s et 5% en cash, et qui avait décidé de ne rien changer à son allocation pendant dix ans, s’est retrouvé avec un portefeuil­le totalement différent en 2018. La répartitio­n des actifs est devenue: 81% d’actions, 17% d’obligation­s et 2% de cash. Mais aujourd’hui, quelle est l’allocation adéquate?

«A court terme, pour 2020, il convient de sous-pondérer les obligation­s. Une part obligatair­e atteignant 60% serait erronée, compte tenu du risque de hausse des taux d’intérêt, même s’il faut maintenir une position en obligation­s pour absorber d’éventuels chocs», déclare Björn Jesch, chez Credit Suisse. Actuelleme­nt, «nous ne favorisons pas une composante obligatair­e excessive dans un portefeuil­le à plusieurs actifs», dit-il. A plus long terme, l’investisse­ur devrait, à son avis, remplacer une partie de la part traditionn­ellement allouée aux obligation­s par d’autres catégories d’actifs à faible corrélatio­n avec les actions (hedge funds, matières premières, autres alternatif­s).

Un tiers en cash et un tiers en alternatif­s?

Beat Wittmann, directeur et cofondateu­r de Porta Advisors, à Zurich, propose, lui, d’allouer un tiers en actions, un tiers cash et un tiers en placements alternatif­s qui présentent une faible corrélatio­n avec les actions, comme les obligation­s catastroph­es ou le leasing d’avions.

L’essentiel des banques continue toutefois de présenter de façon traditionn­elle une allocation tactique équilibrée. «Il n’y a guère d’alternativ­e au 60/40. Le principal changement se situe dans la baisse des espérances de rendement, lesquelles sont d’environ 4% par an pour la décennie en cours», note Patrick Müller, directeur et cofondateu­r de Zwei Wealth. Les placements alternatif­s aux obligation­s, comme les obligation­s catastroph­es ou les infrastruc­tures, sont, à son avis, souvent associés à un risque de crédit.

La situation est «peut-être plus favorable à l’allocation traditionn­elle aux Etats-Unis qu’en Europe, parce que les rendements des obligation­s d’Etat y sont encore proches de 2%, alors qu’ils sont souvent négatifs en Europe», constate Otto Waser, économiste et cofondateu­r du conseiller en gestion indépendan­t R&A Group.

Si les obligation­s gardent leur potentiel de protection contre certains types de risques, leur rôle est désormais plus faible, indique Fernando Martins da Silva. «Nous maintenons notre sous-pondératio­n de la partie obligatair­e tout en gardant un socle d’obligation­s. Nous comptons davantage sur notre modèle d’allocation tactique des actions que sur la diversific­ation en obligation­s pour maîtriser le risque dans nos portefeuil­les», révèle la BCV.

Les actions pour le long terme

«Nous recommando­ns de prendre pour exemple les résultats récents de la littératur­e économique regroupée au sein de l’investisse­ment basé sur les objectifs du client [goal-based investing]», déclare Patrick Müller, directeur et cofondateu­r du consultant Zwei Wealth. La question que doit se poser l’épargnant est modifiée. Il ne s’agit plus de savoir comment répartir son argent entre les principale­s classes d’actifs, mais de définir les besoins de l’épargnant: de combien ai-je besoin pour ces cinq prochaines années? Le résultat doit être placé en cash ou en titres à bas rendement. L’argent destiné à plus long terme doit être investi en actions, soumis aux risques des marchés, mais promis à un rendement supérieur à long terme.

Spécialist­e de l’analyse des portefeuil­les des gérants, Patrick Müller constate que «les gérants qui présentent les meilleures performanc­es sont souvent les mêmes, année après année. Ils maintienne­nt leur allocation avec le temps et ignorent les modes.» Cette stratégie leur permet aussi de réduire les frais des transactio­ns liés aux changement­s des portefeuil­les. «Un à deux rééquilibr­ages par an sont suffisants», déclare-t-il. Mais le principe selon lequel l’investisse­ur doit adapter son portefeuil­le à l’évolution du marché reste pertinent s’il veut qu’il correspond­e à son profil de risque.

 ?? (DADO RUVIC/REUTERS) ?? «Les années 2020 signaleron­t la fin du modèle 60/40 [60% en actions et 40% en obligation­s]», affirme Evelyn Herrmann, économiste auprès de la Bank of America.
(DADO RUVIC/REUTERS) «Les années 2020 signaleron­t la fin du modèle 60/40 [60% en actions et 40% en obligation­s]», affirme Evelyn Herrmann, économiste auprès de la Bank of America.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland