Leysin revient à ses amours rebelles
En prévision des Jeux olympiques de la jeunesse, la station des Alpes vaudoises a consenti d’importants investissements pour redevenir la place forte du freestyle qu’elle fut pendant plus de vingt ans
A Leysin, les réveils ont sonné tôt dans la nuit de vendredi à samedi. Le village sous la neige, plus de 10 centimètres de poudreuse: juste ce qu’il fallait pour redonner un peu de fraîcheur aux pistes usées par le ballet des skieurs et sublimer les paysages. Mais aussi de quoi mettre un dernier coup de pression aux organisateurs des épreuves de ski et snowboard freestyle des Jeux olympiques de la jeunesse.
Il fallait impérativement gérer ces flocons de dernière minute pour que le snowpark et le halfpipe patiemment sculptés dans la combe de Chaux-de-Mont, sous l’imposante Tour-d’Aï, soient à la hauteur de l’événement et des ambitions locales. Alors que les compétitions ont commencé depuis peu sous les rayons d’un soleil radieux et les yeux de spectateurs nombreux, le responsable du site, Antoine Pellaud, peut souffler. «C’est un début de compétition idéal. Nous avons la carte postale que nous souhaitions.»
Pour la station des Alpes vaudoises, Lausanne 2020 est l’opportunité d’envoyer un message au monde: ici, tout est de nouveau pensé pour les adeptes d’acrobaties sur neige. Il y a bien sûr ces tremplins gigantesques en dessus desquels virevolte la superstar estonienne Kelly Sildaru, 17 ans et déjà championne du monde chez les grands, et ce demi-tube qui répond aux normes les plus actuelles. Mais le village accueillera aussi, dès ce printemps, un BigAirBag (ou coussin d’entraînement) qui permettra aux spécialistes de travailler leurs figures même pendant l’été.
«Il y a une installation du même genre aux Etats-Unis, une au Canada, et c’est à peu près tout, souligne le président de Ski-Romand, Frédéric Koehn. Ces prochaines années, Leysin ne sera pas seulement une place forte du freestyle en Suisse, mais un hub mondial. On viendra de loin pour pouvoir pratiquer 365 jours par an.»
De l’apogée au déclin
Cette vocation ne sort pas de nulle part. Au début des années 1990, Leysin fut avec l’apparition du Champs Open la première station suisse à miser sur le snowboard, que les journaux de l’époque présentaient comme le «surf des neiges» et dont le développement était observé par beaucoup avec circonspection. Trop rock’n’roll. Trop subversif. «Les snowboardeurs étaient les rebelles des pistes, les bad people», sourit Antoine Pellaud.
Aujourd’hui syndic du village, Jean-Marc Udriot était alors président des hôteliers de la commune et il se rappelle bien de l’époque. «Le patron des remontées mécaniques était plutôt favorable à l’arrivée des snowboardeurs, il avait compris le potentiel qu’ils représentaient. Mais beaucoup de ses employés étaient anxieux. Comment les transporter? Comment les faire cohabiter avec les skieurs?»
Les retenues initiales se sont envolées en même temps que la popularité du Champs Open, qui attire des stars, la foule et de gros sponsors. L’événement ne se déroule qu’une fois par an, mais son esprit infuse sur celui de la station. «Je suis né en 1991 et le freestyle était tout simplement incontournable pour les jeunes du village. On s’y mettait tous, naturellement, parce qu’il y avait le snowpark et chaque année une compétition iconique pour nous inspirer», se souvient Romain
Erard, aujourd’hui à la baguette des épreuves des JOJ.
Mais la grande époque a fini par se terminer. Entre 2007 et 2009, après avoir perdu son partenaire principal et en quête de nouveaux soutiens, le Champs Open commence par déménager à Crans-Montana, où la sauce ne prend pas pareil. Il revient à Leysin mais le sport, qui a brimé ses réflexes de sale gosse pour être accepté au sein de la famille olympique, se développe vite. Les infrastructures de la station ne répondent plus aux standards internationaux et les meilleurs athlètes se mettent à bouder le rendez-vous. «Les dernières années, l’événement était plus marquant pour ses animations musicales que pour l’aspect sportif», estime JeanMarc Udriot.
Population très jeune
«Petit à petit, le snowpark a fait l’objet de moins d’attention, il y avait de moins en moins d’argent, de moins en moins de compétitions aussi, soupire Romain Erard. Et tout à coup, il n’y eut plus rien.» En 2014, la 23e édition du «Champs» tente de se réinventer en se rapprochant du milieu parallèle des films de sports extrêmes. Ce sera la dernière.
Mais l’esprit du freestyle qui a pendant des années animé la station, motivé ses jeunes, rythmé ses nuits et fait sa réputation ne disparaît pas pour autant. «Historiquement, Leysin était une commune associée aux tuberculeux et aux personnes âgées, qui pouvaient y venir en cure, rappelle Jean-Marc Udriot. Cela a commencé à changer avec le Leysin Rock Festival, organisé dès 1987, puis le snowboard a fini de donner à la station une toute nouvelle image.»
Cela ne tenait pas qu’à un événement annuel. Statistiquement, la commune est la plus jeune de Suisse, par la grâce des 1200 étudiants (sur 4200 habitants au total) de ses écoles internationales. «Leysin conserve une identité particulière dans les Alpes vaudoises. Plus jeune, plus anglosaxonne, plus urbaine que les autres stations», estime Frédéric Koehn. Le potentiel demeurait en matière de freestyle. «Et à un moment donné, il y a eu une véritable volonté politique de renouer avec ce qui a fait la force de la station pendant plus de vingt ans», lance Antoine Pellaud.
«Le visionnaire» – dixit le même homme – de l’affaire fut Jean-Marc Udriot. Membre de la municipalité depuis 2001, syndic depuis 2006, et patron des remontées mécaniques, il rejette les fleurs mais détaille volontiers la stratégie: «Les JOJ nous permettaient de recapitaliser sur notre passé que nous avions un peu laissé tomber, souligne-t-il. La configuration actuelle est parfaite: Leysin accueille la Maison du sport vaudois où des athlètes peuvent loger, nous comptons deux centres sportifs et un parc de glisse sur toboggans qui fait écho à la culture freestyle.»
Cohérence touristique
Restait à consentir les investissements nécessaires pour remettre les infrastructures sportives à la hauteur des attentes des champions actuels. Plus de 4 millions de francs ont été engagés dans les travaux du snowpark et du half-pipe, dans un contexte où beaucoup de stations se demandent s’il fait encore sens de miser sur l’hiver. «Nous n’avons eu aucun souci à faire avancer nos projets, se réjouit le syndic. La population a suivi. Mais nous insistions bien sur le fait que tout était pensé dans l’optique d’un tourisme quatre saisons. Maintenant, pour les dix prochaines années, nous sommes bien.»
Il appartiendra aux responsables de ne pas s’endormir sur leurs infrastructures. Au début des années 1990, Leysin fut un temps à la pointe des installations dédiées à la pratique du freestyle au niveau suisse. Mais alors que la station vaudoise s’assoupissait sur ses acquis, Laax mettait le paquet pour devenir la capitale nationale en la matière. Aujourd’hui, la plupart des riders – même romands – postent des vidéos de leurs prouesses sur Instagram depuis les immenses zones qui leur sont dédiées sur les pistes grisonnes.
Si Jean-Marc Udriot pense qu’il sera difficile de «concurrencer Laax», faute d’espace, Frédéric Koehn estime que «le centre de gravité de la pratique va rebasculer vers ici» grâce aux efforts entrepris. «Aujourd’hui, à travers les JOJ, les Alpes vaudoises ont trouvé une cohérence touristique et marketing, avec une spécialité pour chaque station: l’alpin aux Diablerets, le skicross à Villars, le nordique sur le plateau des Mosses et de la Lécherette, et enfin le freestyle à Leysin», énumère le président de Ski-Romand. Cela va, il en est certain, attirer beaucoup de riders.
«Maintenant, le but, c’est de ne pas s’arrêter avec les Jeux olympiques de la jeunesse», avance le jeune responsable des compétitions, Romain Erard. L’idée est d’attirer chaque année des événements internationaux. Et pourquoi pas de devenir le site permanent des Championnats du monde juniors, appelés à se dérouler tous les deux ans.
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«Ces prochaines années, Leysin ne sera pas seulement une place forte du freestyle en Suisse, mais un hub mondial» FRÉDÉRIC KOEHN, PRÉSIDENT DE SKI-ROMAND