Le jour où l’Everest fut vaincu en hiver
Le 17 février 1980, les Polonais Leszek Cichy et Krzysztof Wielicki étaient les premiers à atteindre le sommet mythique en hiver. Une ascension qui est encore célébrée aujourd’hui comme une fête nationale dans leur pays
C’était il y a quarante ans, et aujourd’hui en Pologne cette date retentit comme une fête nationale. Le 17 février 1980, alors que les alpinistes considèrent que gravir un 8000 en hiver est impossible, un groupe d’entêtés venus de l’autre côté du Rideau de fer démontre le contraire. A 14h25, les Polonais Leszek Cichy et Krzysztof Wielicki atteignent le sommet de l’Everest. Le monde alpin s’incline. Même le pape salue l’exploit. Retour sur une ascension qui a confirmé leur réputation de «guerriers de la glace».
D’abord, un gâteau en récompense, partagé au camp de base par des alpinistes heureux mais fourbus vêtus d’une doudoune vintage. Et puis, ensuite, la gloire. Enfin la Pologne est célébrée. Enfin les Polonais reçoivent le tribut de leurs efforts et de leur résilience. Car le 17 février 1980, alors que tous les alpinistes considèrent que gravir un 8000 en hiver est impossible, un groupe d’entêtés démontre le contraire en atteignant le sommet de l’Everest pendant la saison froide. Le monde alpin s’incline. Même le pape salue l’exploit.
C’était il y a quarante ans et aujourd’hui cette date retentit comme une fête nationale. Certains de ses héros contribuent d’ailleurs encore aujourd’hui à faire briller le pays au sein du milieu himalayen. Au fil des années 1980, les ascensions hivernales sont devenues la spécialité des Polonais. Près de la moitié des sommets de 8000 ont été gravis par leurs soins et, selon les plus fiers du pays, le K2, dernier à résister en hiver aux grimpeurs, devrait leur revenir. Cette année toutefois, les alpinistes de la nation ont préféré s’atteler au Batura Sar (7795 mètres), au Pakistan, gardant le K2 pour l’an prochain.
-40°C et 160 km/h de vent
L’hiver 2020 se révèle ainsi moins épique que les précédents en Himalaya. Les projecteurs sont toutefois dirigés sur Denis Urubko. L’alpiniste kazakho-polonais, l’un des favoris du K2, tente, en solitaire, de gravir le Broad Peak (8051 mètres), au Pakistan. Emporté aux dernières nouvelles par une avalanche dont il est sorti indemne, l’homme voit cependant ses forces et ses espoirs diminués. Sur l’Everest aussi, l’épuisement s’installe. L’Allemand Jost Kobusch tente un assaut par l’arête ouest mais bute contre de la glace vive. Et l’Espagnol Alex Txikon, sur la voie normale, se voit peu à peu abandonné par ses coéquipiers éreintés, malades ou blessés.
Sauf grand coup de théâtre, l’actualité hivernale de 2020 ne vaudra en aucun cas celle de 1980. A cette époque, la Pologne trépignait derrière un mur de fer sévère. Ses habitants manquaient de tout, mais pas d’ambition. Alors qu’ils frappaient le métal dans les aciéries de Katowice, certains rêvaient d’horizons lointains. Ils se savaient durs au mal, s’étaient endurcis dans les montagnes des Tatras et du Pamir et possédaient suffisamment de culot pour profiter du marché noir afin de compléter le coût de leurs expéditions.
D’autres nations s’étaient déjà illustrées dans l’Himalaya. Eux, les Polonais, voyaient dans les ascensions hivernales l’occasion de rattraper le temps perdu et de marquer l’histoire de l’alpinisme à leur manière. Cette idée venait d’Andrzej Zawada. L’homme qui était déjà parvenu aux sommets de montagnes de plus de 7000 mètres en hiver a démontré sur le Lhotse (8516 mètres), en 1974, que l’être humain (et Polonais surtout) était capable de résister aux vents violents, aux températures abyssales et aux tempêtes de neige au-delà de 8000 mètres.
Le Lhotse étant voisin du Toit du Monde, il n’a pas fallu chercher très loin pour se mettre en tête d’y lancer une expédition. Fin 1979, à peine le permis d’ascension en poche, une troupe de Polonais s’envolent pour le Népal. Quelques jours plus tard, l’assaut est lancé sur la montagne. Les conditions? 160 km/h de vent, -25°C dans la combe ouest, -40°C au camp III et de la neige jusqu’aux hanches. Les membres de l’expédition se succèdent et échouent. C’est finalement Leszek Cichy et Krzysztof Wielicki, respectivement 29 et 30 ans, qui se proposent pour la tentative de la dernière chance. Le 17 février, à 14h25, ils allument leur radio et annoncent: «Devinez où nous sommes?» à leurs collègues présents au camp de base. Victoire et joie. La Pologne entière est en liesse et, quarante ans plus tard, elle célèbre encore cette réussite.
L’exploit n’a pourtant pas été tout de suite approuvé par le milieu alpin international. Pour avoir le droit d’être encore sur la montagne à cette date, l’expédition a dû demander les faveurs de l’Etat népalais. Deux jours supplémentaires leur ont été délivrés. Le 17 février, ils sont donc à la limite de l’hiver. Pour certains, tels que Reinhold Messner, la saison était censée s’achever avec la validité des permis d’ascension hivernaux,
Eux, les Polonais, voyaient dans les ascensions hivernales l’occasion de rattraper le temps perdu
donc le 15 février. Pour lui, l’exploit polonais s’affiche hors délais. Accessoirement, cela permet au Tyrolien de déprécier la performance de ses concurrents. Mais ces derniers trouvent un soutien auprès d’Elizabeth Hawley, journaliste et fine connaisseuse des ascensions himalayennes qui, ditelle, «ne fait pas partie de ces chicaneurs». La première hivernale a donc été finalement homologuée par le Ministère du tourisme népalais. Et Reinhold Messner a dû se taire.
En novembre dernier, lors des Rencontres Ciné Montagne à Grenoble, Krzysztof Wielicki était présent en tant que chef d’expédition himalayenne. Que le mur ait chuté trente ans auparavant n’importait guère à cet homme costaud aux tempes grisonnantes. Mais comme tout vieux de la vieille il précisait: «C’était bien sûr mieux avant. En 1980, le travail collectif dominait sur l’individu.» Furtivement entre les micros tendus, il s’est souvenu. En 1980, deux jours après avoir atteint le sommet, ils parviennent enfin au camp de base avec Cichy. «Il y avait là un compatriote en larmes tellement il était heureux que la Pologne ait réussi. Pour lui, ce n’était pas Wielicki ou Cichy les vainqueurs, c’était la nation entière. Aujourd’hui, ces pensées n’existent plus. Tous sont devenus individualistes et préfèrent escalader les montagnes seuls.»
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