Le Temps

L’Irak, sa diaspora et les ombres du passé

Réunis dans un petit café de la banlieue londonienn­e, quelques membres de la diaspora irakienne affrontent des dangers issus du passé et des menaces liées à la montée du fanatisme dans «Baghdad in my Shadow»

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Baghdad in my Shadow, le dernier film du Zurichois Samir, aborde frontaleme­nt les thèmes de la libération féminine, de l’homosexual­ité et de la religion à travers la diaspora irakienne. Son thriller humaniste adopte une structure narrative déconcerta­nte qui débouche sur un récit d’amour et de mort poignant. Rencontre avec un cinéaste né à Bagdad, pour qui «ce film est aussi réel qu’un documentai­re».

C’est l’azur des 1001 Nuits, c’est le vaste ciel qui couvait le berceau de la civilisati­on. La caméra plonge du zénith vers le sol, révélant un paysage urbain et un fleuve, un portrait géant de Saddam Hussein armé, puis une arrestatio­n musclée. On est passé de la transparen­ce céleste au monde matériel où l’on arrache les ongles. On est à Bagdad. Les crimes qui s’y sont perpétrés étendent à jamais leur ombre sur la diaspora, les blessures ne parviennen­t pas à cicatriser.

A Londres, quelques immigrés irakiens fréquenten­t le café Abu Nawas. L’établissem­ent accueille Taufiq, un poète renommé, qui gagne sa vie comme gardien de musée, la belle Amal, une architecte qui travaille comme serveuse à défaut de pourvoir exercer son métier, ou encore Muhanad, un jeune informatic­ien homosexuel sans papiers. Ce havre de paix n’est pas à l’abri des menaces: Nassir, le jeune neveu de Taufiq, se rapproche des milieux fondamenta­listes, et un attaché culturel, l’inquiétant Ahmed, l’ancien mari d’Amal, rumine des représaill­es. C’est dans les ombres du passé que s’enracine la destinée des personnage­s. Le ressentime­nt et la colère les réunit dans le cercle rouge où s’assouviron­t les vengeances.

Thriller humaniste

Adoptant une structure narrative et une chronologi­e déstructur­ées renvoyant aux modèles de Samir, que ce soit les expérience­s d’Eisenstein et d’Alain Resnais, ou le récit dans le récit des contes arabes (Sinbad, Les Mille et Une Nuits), Baghdad in my Shadow n’est pas d’un accès immédiat. Il faut un moment pour se repérer dans ce film choral parlé arabe et anglais, pour identifier les personnage­s et saisir leurs ambivalenc­es. Cette exigence préalable permet d’accéder à un récit d’amour et de mort tout à fait poignant, un thriller humaniste qui fait la part belle à l’humour avec ce sapin de Noël communiste dans le café Abu Nawas ou ce nouvel interdit concernant la main des femmes sur les fruits et légumes en forme de sexe...

Samir travaille sa matière jusque dans les détails. Très soignée, la bande-son participe à la narration. Le «tchac», d’une flèche qu’on décoche se fait entendre pour aiguiser la violence des bas-reliefs assyriens où galopent de furieux archers tandis que le glouglou de la fontaine à eau dans la salle d’interrogat­oire de Scotland Yard évoque celui de la chicha, comme une résonance entre l’Orient et l’Occident. Le film se termine à Bagdad. On remonte de la terre au ciel tandis qu’Amal, en voix off, exprime un rêve de réconcilia­tion. ▅

Baghdad in my Shadow, de Samir (Suisse, Allemagne, Royaume-Uni, Irak, 2019), avec Haytham Abdulrazaq, Zahraa Ghandour, Shervin Alenabi, Andrew Buchan, Kerry Fox, 1h45.

Samir travaille sa matière jusque dans les détails. Très soignée, la bande-son participe à la narration

 ??  ??
 ?? (FILMCOOPI) ?? Amal (Zahraa Ghandour) et Muhanad (Waseem Abbas). C’est dans les ombres du passé que s’enracine la destinée des personnage­s de «Baghdad in my Shadow».
(FILMCOOPI) Amal (Zahraa Ghandour) et Muhanad (Waseem Abbas). C’est dans les ombres du passé que s’enracine la destinée des personnage­s de «Baghdad in my Shadow».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland