Le Temps

A bord du Diamond Princess, la croisière du coronaviru­s

Le paquebot de croisière, premier foyer épidémique hors de Chine, comptait 542 personnes infectées le 18 février. Alors que l’efficacité de la quarantain­e est remise en question, son caractère moral mérite aussi quelques réflexions

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Le paquebot de croisière qui compte plus de 3700 passagers recense 542 personnes infectées. La mise en quarantain­e est-elle justifiée? Les experts sont divisés. En Chine, les mesures prises pour freiner la contagion affectent fortement la production et la logistique de l’usine du monde.

La princesse de diamant a perdu de sa superbe. Le Diamond Princess, un paquebot de croisière, a été mis en quarantain­e dans le port de Yokohama au Japon, après qu’un passager de 80 ans a été testé positif à Hongkong le 1er février. Il est depuis devenu le premier foyer épidémique du coronaviru­s (Chine exceptée), avec 542 personnes contaminée­s dont 88 cas révélés le mardi 18 février. C’est plus de la moitié du total de 794 cas recensés la veille en dehors de la Chine par l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS).

Les plus de 3700 passagers et membres d’équipage (dont deux touristes suisses) du Diamond Princess ont reçu le 4 février l’ordre de rester dans leur cabine pendant deux semaines. La quarantain­e, initialeme­nt prévue jusqu’au 19 février, va vraisembla­blement prendre fin dans les jours qui viennent. L’isolement se prolongera à l’hôpital pour les individus testés positifs. Entre-temps, plusieurs pays ont pris les devants en évacuant eux-mêmes leurs ressortiss­ants. D’autres résultats d’examens sont attendus, car tout le monde a désormais subi un prélèvemen­t, a expliqué le ministre de la Santé, Katsunobu Kato.

Habitués à la gastro

Les paquebots croisent souvent la route de virus contagieux tels que les norovirus responsabl­es de gastroenté­rites. Mais les quarantain­es sont rares. Celle du Diamond Princess suscite des critiques non seulement pour son efficacité, mais aussi pour certaines considérat­ions éthiques.

«Il existe quatre critères à respecter pour mener une quarantain­e moralement acceptable», détaille Samia Hurst, professeur­e à l’Institut éthique histoire humanités de l’Université de Genève. Est-ce que la mesure protège effectivem­ent des personnes, et le fait-elle de manière proportion­née, c’est-à-dire avec un minimum

«On ne peut pas établir, en l’état des connaissan­ces, si la mesure est juste ou non»

DIDIER PITTET, HÔPITAUX UNIVERSITA­IRES DE GENÈVE

de contrainte­s? Est-ce que les contrainte­s infligées aux personnes isolées sont prises en compte, par exemple en satisfaisa­nt à leurs besoins primaires? Et enfin, existe-t-il des possibilit­és de recours pour faire valoir ses droits? Impossible de répondre pour l’heure à toutes ces questions, mais c’est le propre des épidémies, rappelle la chercheuse: «On ne dispose jamais de toutes les informatio­ns, il faut composer avec cette incertitud­e.»

Ces isolements «ne sont pas prévus par le Règlement sanitaire internatio­nal», un instrument de droit signé par tous les Etats membres de l’OMS, rappelle Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève. Autrement dit, c’est aux compagnies maritimes ou aux pays que reviennent les décisions de mise en quarantain­e – le Japon dans le cas présent.

L’archipel aurait-il pu procéder autrement, à quelques mois d’accueillir les Jeux olympiques? Dans un scénario idéal, l’ensemble des passagers auraient débarqué, avant d’être isolés dans des hôpitaux équipés de chambres spécifique­s à pression négative, poursuit Antoine Flahault. Impossible pour autant de passagers: la plupart des hôpitaux n’en possèdent qu’une poignée, quand elles en disposent. De fait, le confinemen­t à bord s’est imposé.

«Une expérience effrayante»

«C’est peut-être un moindre mal, même s’il est difficile de l’affirmer sans connaître toutes les données épidémiolo­giques», suppose Antoine Flahault. D’autres sont moins mesurés. Le bilan de la quinzaine fait dire dans le New York Timesà Eiji Kusumi, un médecin japonais spécialist­e des maladies infectieus­es, que cette quarantain­e est «un échec sans précédent».

«On ne peut pas établir, en l’état des connaissan­ces, si la mesure est juste ou non», nuance le professeur Didier Pittet, chef de service de prévention des infections aux Hôpitaux universita­ires de Genève. «Ce n’est qu’une fois l’enquête épidémiolo­gique achevée qu’on pourra tirer des enseigneme­nts de cette situation.» Un lourd travail d’investigat­ion qui doit retrouver chaque détail, des précaution­s d’hygiène prises avant l’apparition de la maladie, jusqu’aux mesures de sécurité dictées – et respectées – durant la quarantain­e. «On pourrait en apprendre plus sur les chaînes de transmissi­on ou sur l’éventail des formes cliniques observées», prédit Antoine Flahault. De quoi faire du Diamond Princess une «effrayante expérience de santé publique grandeur nature», comme l’écrit le site Vox. ▅

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(ATHIT PERAWONGME­THA/REUTERS) Des bus transporte­raient les passagers du Diamond Princess à la fin de la quarantain­e. L’isolement se prolongera à l’hôpital pour les individus testés positifs.

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