Macron au défi du «séparatisme» islamiste
Le président avait promis, avant les élections municipales, des annonces contre le «séparatisme» islamiste. A Mulhouse mardi, son intervention a surtout souligné l’ampleur du chantier
Emmanuel Macron a toujours envie de transformer la France. Son intervention mardi, à Mulhouse, sur la nécessité de partir à l’offensive contre le «séparatisme» islamiste qui mine selon lui certains quartiers et territoires est un chantier risqué de plus. Après une journée passée à dialoguer avec des responsables d’associations musulmanes, dans une Alsace marquée par le chantier controversé de la mosquée Annour financée par le Qatar et inaugurée en mai 2019, le président français a fixé un triple cap destiné, aussi, aux maires des 35000 communes qui seront élus les 15 et 22 mars: «Lutter contre les influences étrangères», «favoriser l’organisation du culte musulman» et «lutter contre toute manifestation séparatiste». Pas question, en revanche, de singulariser l’islam par un grand plan dédié à cette religion qui compte, en France, environ 6 millions de fidèles [même si l’interdiction des statistiques ethniques et religieuses complique cette estimation]: «Faire un plan contre l’islam serait une faute profonde» a poursuivi le chef de l’Etat.
Alors que le gouvernement redoute l’apparition de listes communautaires musulmanes dans les banlieues d’ici au 27 février, date butoir de dépôt des candidatures pour les élections municipales, les déclarations d’Emmanuel Macron visaient surtout à contrer par avance le discours de l’extrême droite sur un éventuel laxisme de la majorité présidentielle en matière de lutte contre l’extrémisme musulman, et à donner aux candidats macroniens un «corpus» face à leurs électeurs. «L’islam traverse une crise avec une radicalisation de certains et des mouvements très durs qui veulent aller vers l’islam politique. Je dis juste que, chez nous, l’islam politique n’a pas de place», a-t-il déclaré. Bien vu selon l’essayiste Hakim El Karoui, auteur en 2018 d’un rapport remarqué sur «La Fabrique de l’islamisme» pour l’Institut Montaigne: «Les listes communautaires sont un non-sujet lorsqu’il s’agit juste d’entrisme local, nuance-t-il pour Le Temps. Sonner la mobilisation contre les groupes islamistes qui prennent le contrôle de la rue et inversent la norme est en revanche essentiel. Il fallait cette prise de parole ferme.»
Deuxième axe: le ciblage des imams étrangers (ils seraient environ 800 pour 2500 lieux de culte musulmans) qui ne pourront plus faire venir de nouvelles recrues «importées». La France cessera ainsi progressivement d’accueillir des «imams détachés» (environ 300, les autres ayant été formés en France) envoyés par d’autres pays, comme la Turquie et l’Algérie, misant sur la formation en France.
L’accueil des quelque 300 «psalmodieurs» reçus chaque année durant la période du ramadan sera aussi remis en cause. Problème selon Hakim El Karoui: les interlocuteurs actuels comme le Conseil français du culte musulman (plutôt aux mains de l’islam turc) et la Mosquée de Paris (contrôlée par l’Algérie) ne sont pas adaptés, et le problème du financement sera crucial. «Qui paiera les profs? Qui va financer l’indispensable recherche théologique? poursuit Hakim El Karoui. L’islam, comme la République, a besoin d’un travail réformateur et d’imams correctement payés.»
Non-implication de l’Etat au nom de la laïcité?
«Sonner la mobilisation contre les groupes islamistes qui prennent le contrôle de la rue et inversent la norme est essentiel»
HAKIM EL KAROUI, ESSAYISTE ET CHERCHEUR À L’INSTITUT MONTAIGNE
Troisième priorité: la réaffirmation de la laïcité comme règle de base de la République. «Le terme séparatisme est déjà beaucoup mieux que communautarisme. Il marque la frontière, même si je préfère parler de sécessionnisme». complète le chercheur de l’Institut Montaigne, régulièrement consulté par l’Elysée. Assumant de ne pas réagir à chaud «lorsqu’une maman voilée ou un burkini» font irruption dans l’actualité – on se souvient de l’émotion suscitée en octobre 2019 par un élu du Conseil régional de Bourgogne qui avait réclamé la sortie d’une accompagnatrice scolaire voilée – Emmanuel Macron a affirmé mardi qu’il mobilisera les services de l’Etat pour aider les élus, «souvent laissés trop seuls».
«Dans la République, a-t-il asséné, on ne peut pas accepter qu’on refuse de serrer la main à une femme parce qu’elle est femme; dans la République, on ne peut pas accepter que quelqu’un refuse d’être soigné ou éduqué par quelqu’un; dans la République, on ne peut pas accepter la déscolarisation; dans la République, on ne peut pas exiger des certificats de virginité pour se marier; dans la République, on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République, c’est aussi simple que ça.» Soit. Mais comment passer à l’acte? «J’aime bien la dimension volontariste, conclut Hakim El Karoui. Je souscris aussi à l’ultimatum posé aux instances musulmanes. Mais ce qui manque encore en France, ce sont les solutions compatibles, justement, avec l’exigence de non-implication de l’Etat imposée par la laïcité.»
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